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propriété au même titre que la digestion ou la respiration: ainsi l'entendra la psychologie toute empirique, toute subjective, de Locke ou de Condillac; et il est visible que la sociologie d'un de Bonald ou d'un Auguste Comte se borne à prendre le contre-pied de l'individualisme psychologique. Mais le cartésianisme véritable passe bien au delà d'une alternative aussi superficielle. Chez le fondateur de l'analyse mathématique l'élément dominant du Cogito, c'est la Cogitatio elle-même, déroulant une chaine de liaisons purement intelligibles entre termes détachés, non seulement de tout substrat matériel, mais même de toute représentation imaginative. La science cartésienne atteste la présence, en notre pensée, d'un infini qui a sa source dans la perfection absolue et dans la liberté créatrice de Dieu, se communiquant à l'homme, sans aucune inquiétude d'illusion mystique, à travers l'entière clarté de la lumière naturelle. Descendant ainsi de la raison à la cause, des principes de la connaissance aux principes du monde, la science sera maîtresse d'intériorité tout à la fois et de spiritualité: telle est la thèse fondamentale de l'idéalisme moderne, qui se dégage, adéquatement, dans l'Ethique de Spinoza.

Sans doute, avec la Monade leibnizienne à qui l'univers est inné, surtout avec la critique Kantienne qui rattache les catégories à l'unité synthétique de l'aperception, l'idéalisme s'infléchira vers la subjectivité du moi pur. Mais c'est l'originalité de la déduction transcendentale qu'elle oppose, dans le moi lui-même, cette unité synthétique à la passivité de l'intuition sensible, qu'elle apporte ainsi à la conscience comme une dimension nouvelle de profondeur, qui permet d'établir l'égalité de niveau entre sa fonction de conscience rationnelle et sa fonction de conscience morale. Par là, le rêve cartésien tendait à prendre figure de réalité, sous une forme tout humaine et toute positive. Et c'est ce mouvement qui s'accentue, sous nos yeux, d'une façon mémorable, avec les théories de la relativité.

La vision einsténienne du monde n'a rien conservé de la représentation empirique, et pourtant elle est expérimentalement objective. Cette objectivité même, elle y atteindra par l'emploi des méthodes les plus subtiles que pouvait lui fournir l'invention des mathématiciens se fiant à l'essor paradoxal de leur liberté. Nulle part le rôle du sujet humain n'est plus grand, et nulle part la subjectivité n'apparaît plus éloignée de l'individu Ce n'est pas seulement parceque les théories de la relativité sont le couronnement de l'oeuvre poursuivie, génération par génération, depuis la physique

géométrique de Descartes et la mécanique céleste de Newton, parce que le génie de M. Einstein se relie aux génies des mathématiciens allemands ou italiens, des physiciens anglais, américains ou hollandais, qui sont ses précurseurs immédiats. C'est encore pour cette raison que chacun des actes du drame, dont nous apercevons ici le dénoûment, concourt à nous avertir que l'homme est effectivement intelligent dans la mesure où il se détache de son centre singulier de perspective afin de ne plus se saisir que comme l'un des termes d'une relation réciproque. On se comprend complètement soi même, vu du point de vue d'autrui, ou plus exactement, inclus dans le rapport constitutif du système formé par soi et par autrui. La querelle des antipodes, la controverse soulevée par l'hypothèse héliocentrique, montrent assez comme il nous est pénible de nous arracher à notre égoïsme spéculatif pour parvenir à l'intelligence de l'universelle relativité.

Mais jusqu'à M. Einstein il semble que cette relativité restait abstraite, étant la connexion de deux sortes d'absolu: l'absolu d'une forme mathématique définie a priori par l'unicité de l'espace et du temps; l'absolu d'une matière empirique fournie par l'intuition sensible. La manière dont M. Einstein a réussi à mettre l'expérience en équation, fait, au contraire, surgir un monde qui ne reçoit pas du dehors son espace et son temps, mais qui se construit progressivement, sans endroit et sans envers pour ainsi dire, dans sa forme et dans son contenu tout ensemble. La synthèse de la forme et de la matière s'effectue chez lui, non plus comme universel concret, sur le terrain d'une logique qui demeure toujours, en dépit de ses affirmations et de ses promesses, quelque peu conceptuelle et verbale, mais comme univers concret, par la vertu d'un savoir capable de vérifier sa propre vérité.

III.

Quelle répercussion cette heureuse mise au point de l'idéalisme contemporain peut-elle avoir sur notre conception d'ensemble de la vie spirituelle? La question, à bon droit, paraîtra téméraire. On se souvient des aventures qu'ont courues tour à tour la psychologie associationiste, l'économie classique, le socialisme passionnel, lorsqu'ils ont essayé de déterminer une loi générale d'attraction et d'harmonie, calquée sur la simplicité de la formule newtonienne. Mais la science de Newton et la

science de M. Einstein s'opposent dans leurs résultats philosophiques aussi bien que dans leurs méthodes techniques. Notre base de référence est changée du tout en tout. Nous ne prenous plus pour modèle un univers dont la structure se dessinerait à l'imagination, et qu'il nous suffirait de transporter, trait pour trait, du domaine physique au domaine moral. Nous ne sommes plus obsédés par l'entité de la res sine intellectu ou, tout au moins, ante intellectum. Ce que nous voulons, c'est comprendre l'homme, savoir de quelles ressources il dispose pour s'élever à l'universalité du vrai, à quelle discipline il doit se soumettre, de quelles résistances, en dehors de lui et en lui, il doit triompher.

Or, si nous posons ainsi le problème, il nous semble qu'une intelligence plus profonde et plus exacte de la fonction théorique, loin de bouleverser notre idée de la fonction pratique, nous amène à ce résultat d'en remettre dans un relief nouveau les caractéristiques séculaires, aperçues dès les premiers siècles de la civilisation occidentale, mais dont l'interprétation était demeurée hésitante et incertaine parce que les interprètes avaient toujours en tête un faux idéal de la vérité scientifique. C'est ainsi qu'on a voulu voir dans Socrate un théoricien des concepts logiques, quitte à s'étonner ensuite, que son enseignement, tel du moins que nous pouvons le connaître, apparaisse à cet égard si pauvre et si peu consistant. Mais, selon l'expression remarquable de Xénophon, la dialectique socratique était indivisiblement parole et acte. Si elle ne définissait pas doctement le juste, elle suscitait dans l'âme l'attitude effective de la justice. Elle invitait les hommes à réfléchir sur les rapports qui s'établissent entre eux lorsqu'ils se considèrent, non plus comme des individus placés en face les uns des autres par l'égoïsme de l'instinct, mais comme des créatures raisonnables qui ont à remplir les fonctions réciproques de la mère et du fils, de l'ami et de l'ami, du magistrat et du citoyen. Et l'adaptation de la réflexion à l'action s'y fait tellement étroite, tellement immédiate, qu'elle entraine l'être tout entier dans la voie indiquée par l'intelligence, qu'elle crée une «impossibilité physique » de ne pas satisfaire à l'impérieuse clarté de la conscience.

L'ascendant de cet enseignement socratique est attesté par un passage célèbre de l'Ethique à Nicomaque, d'autant plus significatif qu'au premier abord du moins il semble orienté en sens inverse de ce qu'impliquerait la notion toute déductive et toute formelle de la rationalité. C'est celui où Aristote insiste sur la nécessité de ne pas demeurer asservi à la formule

rigide des lois, de considérer la complexité des circonstances particulières, de suppléer au silence du législateur en rectifiant l'erreur qui résulterait de ses expressions trop absolues. Le jugement d'équité prendra pour modèle de référence la régle de plomb, employée par les constructeurs Lesbiens, qui s'adapte à la pierre parce qu'elle ne conserve pas l'invariable direction de la ligne droite.

La théorie, la comparaison même d'Aristote, nous apparaissent aujourd'hui d'une justesse saisissante. Ce n'est pas que les moralistes antérieurs les aient méconnues. Mais en général ils ne les ont admises qu'à leur corps défendant. Il y a une casuistique chez Kant, très fine et très loin poussée; il n'est guère douteux pourtant que l'accent de la morale Kantienne soit placé sur le rigorisme, ce qui s'explique par son éducation piétiste, mais en partie seulement, ce qui tient aussi, et peut-être avant tout, à la satisfaction intellectuelle de voir les deux domaines de la raison se réunir dans l'entière rigueur d'une législation a priori. Or cette même satisfaction intellectuelle, nous la goûtons tout autrement parce que la relativité a comme renversé l'ordre des facteurs. A nos yeux, ce n'est plus une infériorité de la raison pratique, une défaillance de sa rationalité, que d'être contrainte à se départir de l'universalité abstraite qui est la forme de l'impératif catégorique. Au contraire; c'est en considérant comme une approximation du réel la formule simple de la loi suivant le type newto nien, c'est en raffinant ses méthodes pour s'orienter vers la pleine compréhension des choses en leur contenu particulier, que la raison remplit son exigence de prévision croissante et de scrupuleuse exactitude, aussi bien dans le domaine spéculatif que dans le domaine pratique. Pascal combat les Casuistes qui jouent de la probabilité pour retourner les textes sacrés contre la conscience chrétienne, à l'exemple des avocats habiles qui rendent innocent devant le droit l'acte condamné par la morale. Mais l'auteur des Provinciales nous montrera, dans un de ses fragments posthumes, les saints subtilisant pour se trouver criminels et accusant leurs meilleures actions. Et de même, ne peut-on pas dire que c'est la discussion en quelque sorte casuistique d' «écarts», quantitativement très petits, mais intellectuellement non négligeables, entre les formules de la théorie et l'expérience de la nature, qui a provoqué les découvertes les plus extraordinaires de la physique contemporaine?

Ainsi une interprétation plus souple et plus juste de la science libère la vérité morale que risquait de comprimer et de mutiler une référence

décevante, soit aux catégories a priori de la Critique, soit aux faits généraux du positivisme. Sans doute nous sommes, ainsi que Leibniz le remarquait, empiriques dans les trois quarts de notre existence; et il nous suffira, dans les trois quarts des circonstances, de suivre, sans nous en inquiéter davantage, l'impulsion du conformisme social. Mais aux cas exceptionnels correspondront les innovations fécondes. Dans tous les domaines, les héros de la vie spirituelle sont ceux qui, sans se référer à des modèles périmés, à des précédents devenus anachroniques, ont lancé en avant d'eux-mêmes des lignes d'intelligence et de vérité, destinées à créer un univers moral, de la façon dont elles ont créé l'univers matériel de la gravitation ou de l'électricité. Et encore ici l'histoire de la pensée, qui est comme le laboratoire du philosophe, nous permet de saisir, sur un exemple privilégié, cette sorte d'avance qu'ont eues les conceptions pratiques sur les conceptions spéculatives. Le dogmatisme physique qui entraîne Descartes à déduire d'un coup, en les appuyant a priori sur les perfections infinies de Dieu, les principes de sa cosmologie, nous apparaît entaché de simplisme et de témérité. En revanche, dans le Traité des Passions, Descartes, traduisant en langage positif une thèse platonicienne, a réussi à montrer, comme le progrès de l'amour est le progrès de l'intelligence elle-même, l'arrachant à la tyrannie envahissante de l'instinct pour lui donner sa forme humaine de désintéressement. Il y parle « du consentement par lequel on se considère dès à présent comme joint avec ce qu'on aime: en sorte qu'on imagine un tout, duquel on pense être seulement une partie, et que la chose aimée en est une autre ». La volonté généreuse construit le tout idéal de la famille, de la patrie, de l'humanité, sans que l'individu s'en retranche lui-même par dédain de soi, par faux ascetisme, mais parce qu'il s'y voit comme une partie d'autant plus faible, disposé à faire prédominer d'autant davantage l'intérêt du tout, qu'il a su par l'élan de sa pensée, en augmenter l'étendue, et en accroître la perfection intrinsèque.

Que la générosité d'autrui réponde à la nôtre; et les lignes de réciprocité idéale viendront converger pour rendre effective, selon l'idée Kantienne, la république morale des êtres raisonnables. Mais nous n'agissons point sur la base d'une certitude initiale. La mère n'attend pas, pour nourrir et veiller son enfant, qu'il soit en état de lui dire merci. La générosité n'est telle que parce qu'elle va de l'avant sans escompter bénéfice ou reconnaissance. Et cette incertitude du dénoûment, loin de

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