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rencontrer ni partisan, ni adversaire. Le monde de la magistrature resta fidèle à la mémoire du grand chancelier même dans le cours du XIX® siècle. On fit de nouvelles éditions de ses écrits; sous une forme ou sous une autre, les hommes de lois crurent devoir les mettre en bonne place dans leur bibliothèque sans trouver bien souvent l'occasion de les consulter. Deux ou trois études lui furent consacrées. Mais on ne peut dire que ses idées aient subi la critique salutaire qui aurait pu leur donner une certaine influence, qui en tout cas aurait maintenu dans le monde juridique le vieil usage d'étudier la philosophie en même temps que le droit.

D'Aguesseau est un esprit essentiellement religieux. Ses conceptions découlent de la nature de Dieu et de la vérité de la religion chrétienne. Il semblerait que sur une telle base qui a l'inconvénient de ne pouvoir rallier tous les esprits il soit facile de construire un système harmonieux et de ramener à un principe unique les divers éléments du droit. Or qu'il l'ait voulu ou non ce système du Chancelier est nettement dualiste. La volonté et l'activité divine produisent le Droit par deux procédés tout à fait distincts.

Dieu agit d'abord sur le droit en élisant les souverains. Les rois tiennent leur pouvoir directement de lui; car il n'est point de puissance qui ne vienne de Dieu. Les rois fidèles ou infidèles aux principes de la religion sont toujours les Ministres du Très-Haut. D'Aguesseau poursuit devant le Parlement de Paris des officiers ministériels qui, dans leurs actes, ajoutent au nom du roi l'épithète de Très Chrétien, car ils lui doivent obéissance parce qu'il est roi et non parce qu'il est très chrétien. Le clergé ne peut s'ingérer dans aucune affaire du royaume, ni blâmer un fonctionnaire qui dans l'exercice de ses fonctions paraîtrait faire un acte hostile à la religion. Les ecclésiastiques, en devenant les Ministres de Dieu par lequel les rois règnent, sont encore plus obligés que les autres citoyens à donner l'exemple de la fidélité à une puissance émanée de Dieu même (V. 201).

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Emanée de Dieu, la monarchie ne saurait avoir de limites à son pouvoir. Elle est absolue. Mais Monarchie absolue »> ne signifie pas puissance arbitraire de la volonté personnelle du roi ». Elle n'a pas nécessairement pour formule : « Sic volo, sic jubeo ». La personnalité éphémère du roi est sacrée parce qu'il représente la Couronne. La Cou

V Congresso Filosofico.

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ronne dont les droits sont inaliénables et imprescriptibles est l'être abstrait, éternel, directement créé par Dieu pour le bien de tous.

Bien entendu, cette théorie est loin d'être nouvelle. Elle est à la base même de la jurisprudence théologique du Parlement déjà fixée en 1561 pour ne pas remonter plus haut. Il eût été imprudent au début du XVIIIe s., même à un simple particulier, de la critiquer. Mais, si le dogme de la Monarchie de droit divin ne peut être contesté sans risque, c'est pour la plupart des magistrats à cause des conséquences politiques qui pourraient en résulter. Pour d'Aguesseau, cette action de Dieu sur les sociétés humaines par l'intermédiaire des rois même infidèles est une vérité religieuse et philosophique. Il y croit tout autant qu'à la divinité du Christ; il la proclame dans certains de ses écrits les plus intimes qui sont pour lui une sorte d'examen de conscience et qu'il n'eût communiqués à personne. Parmi les défenseurs des principes gallicans, d'Aguesseau a l'originalité d'une sincérité indiscutable et cela suffit pour qu'il en fasse une transposition du monde des intérêts pratiques et politiques au monde des idées abstraites et métaphysiques. Ainsi envisagés et poussés à leur extrême conséquence, ces principes suffisent à constituer toute une philosophie du droit. Si les rois sont les Ministres de Dieu sur terre, comme les prêtres, toutes leurs décisions sont voulues par le Créateur et sacrées à ce titre. Or, comme tout droit sitif, dans une monarchie absolue peut directement ou indirectement se réclamer de l'autorité royale, il s'ensuit que le penseur doit se borner à admirer la sagesse du droit positif et à remonter par son intermédiaire jusqu'à la pensée divine.

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Pour ramener philosophiquement le Droit à un principe unique, d'Aguesseau aurait dû s'en tenir là. L'essence de la justice étant en Dieu qui la réalise sur terre par l'intermédiaire des rois, le rôle de l'individu est de se soumettre à toutes les prescriptions qui régissent l'Etat et se résigner à n'en pas comprendre davantage. Mais le penseur n'y eût guère trouvé son compte. Il lui fallait une autre conception de la justice, une justice accessible à tous, sur laquelle l'effort de la raison individuelle put projeter quelque clarté, qui fut aussi divine dans son essence, mais révélée aux hommes par leur conscience et non plus par le pouvoir. C'est une telle conception qu'il met à la base du droit naturel. <«< ce Droit que la nature ou plutôt la raison ou, pour parler encore plus correctement, que l'auteur de la nature et de la raison dicte éga

lement à tous les hommes » (1, 443). Il est à espérer que les rois auront à coeur de s'y conformer. « Les plus nobles images de la Divinité, les Rois, que l'Ecriture appelle les Dieux de la Terre, ne sont jamais plus grands que lorsqu'ils soumettent foute leur grandeur à la Justice ». (VIII vij). Mais lorsqu'ils violent ce droit naturel, un conflit s'élève entre l'autorité royale émanée de Dieu et la conscience individuelle également éclairée par Dieu. Il est étonnant que le chancelier-philosophe ne cherche aucun moyen d'échapper à cette contradiction et ne paraisse même pas s'apercevoir de ce vice capital qui dans de nombreux passages de ses écrits est de nature à frapper l'esprit le plus superficiel. Sans doute les écrivains du XVIIIe siècle prennent avec la logique de grandes libertés, mais il est vraisemblable que d'Aguesseau aurait sacrifié l'un ou l'autre de ces deux principes contradictoires, s'ils ne s'étaient imposés à lui avec la même vigueur.

Ce dualisme pourrait passer inaperçu à qui ne lirait que ses « Méditations métaphysiques», son oeuvre philosophique capitale. Elle fut, dit-on, provoquée par son ami de Valincourt qui se plaisait à faire naître des disputes propres à échauffer l'illustre magistrat » (XL j.), et avait soutenu dans une série de dialogues que l'homme ne trouve en lui-même aucune idée de la justice, que sa raison est impuissante à distinguer le juste de l'injuste et que s'il a quelques notions à cet égard il les doit uniquement à la Révélation directe que Dieu a bien voulu faire à quelques-unes de ses créatures. D'Aguesseau réfute cet adversaire amical d'extrême droite. Mais il en veut surtout aux adversaires de gauche, aux sceptiques qui doutent de la puissance de la raison, aux empiristes qui, réduisant l'intellectualité aux données de l'expérience, coupent ainsi tout lien avec le monde des idées supérieures, aux pessimistes contempteurs de la nature humaine qui ne savent en voir que les mauvais penchants. C'est dire que les pyrrhoniens qui n'ont à aucune époque été très rares en France, les partisans de Locke et les partisans de Hobbes sont les vrais adversaires auxquels il oppose ses conceptions rationnelles, idéales et optimistes.

On peut résumer ainsi ses conclusions:

Dieu a révélé directement à certains élus quelques règles de justice; mais il a donné à tout homme le pouvoir d'en connaître l'essence par l'exercice de sa seule raison, reflet de la raison divine. En sortant des mains de son Créateur, l'âme possède déjà certaines vérités évidentes

et innées et elle n'a qu'à les mettre en usage pour enrichir sa pensée et connaître le vrai. Or la justice est une de ces vérités évidentes, accessibles à tous et que tous ont intérêt à respecter. Car si l'homme est souvent méchant aux autres hommes, c'est qu'il se trompe sur son véritable intérêt. Le propre de la nature humaine est de rechercher le bonheur; le bonheur est dans la perfection ou plus précisément dans la contemplation de la perfection relative que l'homme peut atteindre et qui le fait participer à la perfection absolue de Dieu. Devenir parfaits; rendre les autres parfaits suppose la pratique de la justice. Les hommes n'ont donc pas été placés sur terre pour se combattre et s'anéantir. Ils s'aimeront et s'aideront réciproquement s'ils savent comprendre la grande harmonie qui règne dans le monde.

D'Aguesseau dépasse ainsi le but. Il noie la notion de justice dans l'ensemble de la morale et rend complètement inutile une métaphysique du droit. Mais les plus grands philosophes et notamment Platon n'ont-ils pas commis la même erreur?

Descartes est, sans doute, le penseur dont d'Aguesseau croit s'être le plus inspiré. Pourtant son cartésianisme est bien affaibli, bien dégénéré. Du «< cogito, ergo sum» il ne comprend pas la vigueur. Il l'admet, sans doute, comme une des formes de l'évidence, mais sans lui accorder aucune prééminence à l'égard d'autres vérités beaucoup plus flottantes. Le « cogito», le théorème sur le carré de l'hypothénuse, l'existence de la ville de Rome ont pour lui le même degré de certitude et il croit qu'il convient logiquement d'accorder la même confiance à ce qu'il appelle évidence de conscience », évidence de raison »<, évidence d'autorité », alors que le sens même du doute méthodique de Descartes est d'établir une hiérarchie entre ces trois formes de connaissance. Au XIXe siècle, Lamennais n'aura qu'à suivre dans le même sens pour donner à l'évidence d'autorité la suprématie et pour formuler cette proposition peut-être hérétique en théologie, en tous cas hérétique en logique L'autorité ou la raison générale, le consentement commun, est la règle des jugements de l'homme individuel». (Défense, I ed. p. 150).

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Les éditeurs de ses ouvrages appelaient d'Aguesseau le Leibnitz français. C'était, pour sûr, un gros compliment. Toutefois, et bien que l'un fut plus juriste que philosophe et l'autre plus philosophe que juriste, les traits communs ne manquent pas entre les deux penseurs. Ils eurent à coeur l'un et l'autre de défendie la théorie des idées innées contre

les attaques de Locke. L'argumentation du chancelier, développée dans sa sixième méditation, est loin d'avoir la portée et l'originalité des Nouveaux essais sur l'entendement humain. Elle ne manque pas, pourtant, de finesse et de subtilité. Par une bizarre coïncidence la riposte de Leibnitz à Locke a dormi pendant cinquante ans au moins dans les archives de son auteur, mort en 1716 et n'a été extraite de ses manuscrits pour être publiée qu'en l'année 1765. Un sort analogue attendait le travail de d'Aguesseau qui, écrit sans doute avant 1730, n'a été imprimé qu'en 1779. Or les trois ouvrages dans lesquels Condillac exposait les principes de son empirisme accentué datent de 1746, 1749, 1754. Il est évident qu'aucun de ces trois personnages représentant d'idées si diverses n'a pu discuter les autres en connaissance de cause et que la controverse sur les idées innées au XVIIIe. siècle a souffert de cette ignorance réciproque.

Il est en tous cas certain que d'Aguesseau eût estimé Condillac encore moins que Locke et qu'il l'eût combattu avec encore plus de chaleur. Mais cette aversion contre les empiristes était-elle justifiée? Sontils vraiment les adversaires de toute justice naturelle et immuable pour laquelle combattait le magistrat philosophe? Cela n'est pas certain; et, en ce qui concerne Locke, auteur du Gouvernement civil, cela n'est pas probable. La question de l'innéité ne porte au fond que sur les moyens mis à la disposition de l'homme pour parvenir à la vérité et non sur la nature même de la vérité. On pourrait fort bien admettre que des vérités éternelles et absolues puissent parvenir à la connaissance humaine par la voie de l'expérience combinée avec la reflexion. D'Aguesseau a peut-être tort de croire que les idées de Locke, prises en elles-mêmes, soient nécessairement destructives de tout idéal. Mais s'il a tort en droit, il a raison en fait. Tout empirisme crée une ambiance peu favorable aux idées abstraites. Les théories de Condillac furent néfastes en France à la philosophie du Droit. Leur triomphe fut long car elles étaient sympathiques aux blancs tout autant qu'aux rouges. Des esprits imbus de cette philosophie sans complication ne devaient guère se préoccuper de l'essence métaphysique de la justice. En dehors de la pratique des Tribunaux, ils ne pouvaient voir dans la science juridique que le côté politique. Le divorce entre le Droit et la Philosophie a occupé, en France, presque tout le XIXe. siècle. Certes, il y eut, dans le cours de cette période de mombreux magistrats éminents par leur valeur intellectuelle. Il n'y eut point de d'Aguesseau.

P. DE TOURTOULON

Université de Lausanne

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