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qui se troublent en s'éloignant de leur source. Dès lors les sentimens se partagent, et sont d'autant plus arbitraires, que chacun y met du sien, et trouve des résultats plus particuliers. La déroute n'est pas d'abord si sensible; mais bientôt, plus on marche, plus on s'égare, plus on se divise; mille chemins conduisent à l'erreur, un seul mène à la vérité : heureux qui sait le reconnaître! Chacun s'en flatte pour son parti, sans pouvoir le persuader aux autres; mais si, dans ce conflit d'opinions, il est impossible de terminer nos différends et de nous accorder sur tant de points délicats, sachons du moins nous rapprocher et nous unir par les principes universels de la tolérance et de l'humanité, puisque nos sentimens nous partagent, et que nous ne pouvons être unanimes. Qu'y a-t-il de plus naturel que de nous supporter mutuellement, et de nous dire à nous-mêmes, avec autant de vérité que de justice : « Pourquoi celui qui se trompe ces>> serait-il de m'être cher? l'erreur ne fut-elle pas toujours » le triste apanage de l'humanité? Combien de fois j'ai >> cru voir le vrai, où, dans la suite, j'ai reconnu le faux? > combien j'en ai condamné dont j'ai depuis adopté les » idées? Ah! sans doute je n'ai que trop acquis le droit » de me défier de moi-même, et je me garderai de haïr » mon frère parce qu'il pense autrement que moi ! »

Qui peut donc voir sans douleur et sans indignation, que la raison même, qui devrait nous porter à l'indulgence et à l'humanité, l'insuffisance de nos lumières et la diversité de nos opinions, soit précisément celle qui nous divise avec plus de fureur? Nous devenons les accusateurs et les juges de nos semblables; nous les citons avec arrogance à notre propre tribunal, et nous exerçons sur leurs

sentimens l'inquisition la plus odieuse; et comme si nous étions infaillibles, l'erreur ne peut trouver grâce à nos yeux. Cependant quoi de plus pardonnable, lorsqu'elle est involontaire, et qu'elle s'offre à nous sous les apparences de la vérité? les hommages que nous lui rendons, n'est-ce pas à la vérité même que nous voulons les adresser? Un prince n'est-il pas honoré de tous les honneurs que nous faisons à celui que nous prenons pour lui-même? Notre méprise peut-elle affaiblir notre mérite à ses yeux, puisqu'il voit en nous le même dessein, la même droiture que dans ceux qui, mieux instruits, s'adressent à sa personne? Je ne vois point de raisonnement plus fort contre l'intolérance; on n'adopte point l'erreur comme erreur; on peut quelquefois y persévérer à dessein par des motifs intéressés, et c'est alors qu'on est coupable. Mais je ne conçois pas ce qu'on peut reprocher à celui qui se trompe de bonne foi; qui prend le faux pour le vrai, sans qu'on puisse l'accuser de malice ou de négligence; qui se laisse éblouir par un sophisme, et ne sent pas la force du raisonnement qui le combat. S'il manque de discernement ou de pénétration, ce n'est pas ce dont il s'agit; on n'est pas coupable pour être borné, et les erreurs de l'esprit ne peuvent nous être imputées qu'autant que notre cœur y a part. Ce qui fait l'essence du crime, c'est l'intention directe d'agir contre ses lumières, de faire ce qu'on sait être mal, de céder à des passions injustes, et de troubler à dessein les lois de l'ordre qui nous sont connues; en un mot, toute la moralité de nos actions est dans la conscience, dans le motif qui nous fait agir. Mais, dites-vous, cette vérité est d'une telle évidence, qu'on ne peut s'y soustraire sans s'aveugler volontairement, sans être cou

pable d'opiniâtreté ou de mauvaise foi? Eh! qui êtesvous pour prononcer à cet égard, et pour condamner vos frères? Pénétrez-vous dans le fond de leur âme? ses re

plis sont-ils ouverts à vos yeux? partagez-vous avec l'Éternel l'attribut incommunicable de scrutateur des cœurs? Quel sujet demande plus d'examen, de prudence et de modération, que celui que vous décidez avec tant de légéreté et d'assurance? Est-il donc si facile de marquer avec précision les bornes de la vérité; de distinguer avec justesse le point souvent invisible où elle finit, et où l'erreur commence; de déterminer ce que tout homme doit admettre et concevoir, ce qu'il ne peut rejeter sans crime? Qui peut connaître, encore une fois, la nature intime des esprits, et toutes les modifications dont ils sont susceptibles? Nous le voyons tous les jours, il n'est point de vérité si claire qui n'éprouve des contradictions ; il n'est point de système auquel on ne puisse opposer des objections, souvent aussi fortes que les raisons qui les défendent. Ce qui est simple et évident pour l'un, paraît faux et incompréhensible à l'autre : ce qui ne vient pas seulement de leurs divers degrés de lumières, mais encore de la différence même des esprits; car on observe dans les plus grands génies la même variété d'opinions, et plus grande assurément entre eux que dans le vulgaire.

Mais, sans nous arrêter à ces généralités, entrons dans quelques détails ; et comme la vérité s'établit mieux quelquefois par son contraire que directement, si nous montrons en peu de mots l'inutilité, l'injustice et les suites funestes de l'intolérance, nous aurons prouvé la justice et la nécessité de la vertu qui lui est opposée.

De tous les moyens qu'on emploie pour arriver à quel

preuves,

que but, la violence est assurément le plus inutile et le moins propre à remplir celui qu'on se propose: en effet, pour atteindre un but quel qu'il soit, il faut au moins s'assurer de la nature et de la convenance des moyens que l'on a choisis; rien n'est plus sensible; toute cause doit avoir en soi un rapport nécessaire avec l'effet qu'on en attend; en sorte qu'on puisse voir cet effet dans sa cause, et le succès dans les moyens ; ainsi, pour agir sur des corps, pour les mouvoir, les diriger, on emploiera des forces physiques; mais pour agir sur des esprits, pour les fléchir, les déterminer, il en faudra d'un autre genre ; des raisonnemens, par exemple, des des motifs; ce n'est point avec des syllogismes que vous tenterez d'abattre un rempart, ou de ruiner une forteresse; et ce n'est point avec le fer et le feu que vous détruirez des erreurs, ou redresserez de faux jugemens. Quel est donc le but des persécuteurs? De convertir ceux qu'ils tourmentent; de changer leurs idées et leurs sentimens pour leur en inspirer de contraires ; en un mot, de leur donner une autre conscience, un autre entendement. Mais quel rapport y a-t-il entre des tortures et des opinions? Ce qui me paraît clair, évident, me paraîtra-t-il faux dans les souffrances? Une proposition que je vois comme absurde et contradictoire, sera-t-elle claire pour moi sur un échafaud? Est-ce, encore une fois, avec le fer et le feu que la vérité perce et se communique? Des preuves, des raisonnemens peuvent me convaincre et me persuader; montrez-moi donc ainsi le faux de mes opinions, et j'y renoncerai naturellement et sans efforts; mais vos tourmens ne feront jamais ce que vos raisons n'ont pu

Pour rendre ce raisonnement plus sensible, qu'on nous permette d'introduire un de ces infortunés, qui, prêt à mourir pour la foi, parle ainsi à ses persécuteurs: Oh! mes frères, qu'exigez-vous de moi? comment puis-je vous satisfaire? Est-il en mon pouvoir de renoncer à mes sentimens, à mes opinions, pour m'affecter des vôtres ? de changer, de refondre l'entendement que Dieu m'a donné, de voir par d'autres yeux que les miens, et d'être un autre que moi? Quand ma bouche exprimerait cet aveu que vous désirez, dépendrait-il de moi que mon cœur fût d'accord avec elle, et ce parjure forcé de quel prix seraitil à vos yeux ? Vous-mêmes, qui me persécutez, pourriezvous jamais vous résoudre à renier votre croyance? Ne feriez-vous pas aussi votre gloire de cette constance qui vous irrite et qui vous arme contre moi? Pourquoi voulezvous donc me forcer, par une inconséquence barbare, à mentir contre moi-même, et à me rendre coupable d'une lâcheté qui vous ferait horreur?

Par quel étrange aveuglement renversez-vous pour moi seul toutes les lois divines et humaines? Vous tourmentez les autres coupables pour tirer d'eux la vérité, et vous me tourmentez pour m'arracher des mensonges; vous voulez que je vous dise ce que je ne suis pas, et vous ne voulez pas que je vous dise ce que je suis. Si la douleur me faisait nier les sentimens que je professe, vous approuveriez mon désaveu, quelque suspect qu'il vous dût être ; vous punissez ma sincérité, vous récompenseriez mon apostasie; vous me jugez indigne de vous, parce que je suis de bonne foi: n'est-ce donc qu'en cessant de l'être que je puis mériter ma grâce? Disciples d'un maître qui ne prêcha que la vérité, croyez-vous augmenter sa gloire,

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