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nous gênons si fort vos désirs lorsqu'ils volent trop loin, ce n'est pas que nous craignions la dernière infidélité; mais c'est que nous savons que la pureté ne saurait être trop grande, et que la moindre tache peut la corrompre.

Je vous plains, Roxane. Votre chasteté, si long-temps éprouvée, méritait un époux qui ne vous eût jamais quittée, et qui pût lui-même réprimer les désirs que votre seule vertu sait sou

mettre.

De Paris, le 7 de la lune de Rhegeb 1712.

LETTRE XXVII.

USBEK A NESSIR,

A ISPAHAN."

Nous sommes à présent à Paris, cette superbe rivale de la ville

du soleil (1).

Lorsque je partis de Smyrne, je chargeai mon ami Ibben de te faire tenir une boîte où il y avait quelques présens pour toi : tu recevras cette lettre par la même voie. Quoique éloigné de lui de cinq ou six cents lieues, je lui donne de mes nouvelles, et je reçois des siennes aussi facilement que s'il était à Ispahan et moi à Com. J'envoie mes lettres à Marseille, d'où il part continuellement des vaisseaux pour Smyrne : de là il envoie celles qui sont pour la Perse, par les caravanes d'Arméniens qui partent tous les jours pour Ispahan.

Rica jouit d'une santé parfaite : la force de sa constitution, sa jeunesse et sa gaieté naturelle, le mettent au-dessus de toutes les épreuves.

Mais, pour moi, je ne me porte pas bien; mon corps et mon esprit sont abattus; je me livre à des réflexions qui deviennent tous les jours plus tristes : ma santé, qui s'affaiblit, me tourne vers ma patrie, et me rend ce pays-ci plus étranger.

Mais, cher Nessir, je te conjure, fais en sorte que mes femmes ignorent l'état où je suis. Si elles m'aiment, je veux épargner leurs larmes; et si elles ne m'aiment pas, je ne veux point augmenter leur hardiesse.

Si mes eunuques me croyaient en danger, s'ils pouvaient espérer l'impunité d'une lâche complaisance, ils cesseraient bientôt d'être sourds à la voix flatteuse de ce sexe qui se fait entendre aux rochers et remue les choses inanimées.

Adieu, Nessir. J'ai du plaisir à te donner des marques de ma confiance.

(1) Ispahan.

De Paris, le 5 de la lune de Chahban 1712.

LETTRE XXVIII.

RICA A ***.

Je vis hier une chose assez singulière, quoiqu'elle se passe tous les jours à Paris.

Tout le peuple s'assemble sur la fin de l'après-dînée, et va jouer une espèce de scène que j'ai entendu appeler comédie. Le grand mouvement est sur une estrade qu'on nomme le théâtre. Aux deux côtés on voit, dans de petits réduits qu'on nomme loges, des hommes et des femmes qui jouent ensemble des scènes muettes, à peu près comme celles qui sont en usage en notre Perse.

Ici c'est une amante affligée qui exprime sa langueur; une autre, plus animée, dévore des yeux son amant, qui la regarde de même toutes les passions sont peintes sur les visages, et exprimées avec une éloquence qui, pour être muette, n'en est que plus vive. Là les actrices ne paraissent qu'à demi-corps, et ont ordinairement un manchon par modestie, pour cacher leurs bras. Il y a en bas une troupe de gens debout qui se moquent de ceux qui sont en haut sur le théâtre; et ces derniers rient à leur tour de ceux qui sont en bas.

Mais ceux qui prennent le plus de peine sont quelques gens qu'on prend pour cet effet dans un âge peu avancé, pour soutenir la fatigue. Ils sont obligés d'être partout; ils passent par des endroits qu'eux seuls connaissent, montent avec une adresse surprenante d'étage en étage; ils sont en haut, en bas, dans toutes les loges ils plongent, pour ainsi dire; on les perd, ils reparaissent; souvent ils quittent le lieu de la scène, et vont jouer dans un autre : on en voit même qui, par un prodige qu'on n'aurait osé espérer de leurs béquilles, marchent et vont comme les autres. Enfin on se rend à des salles où l'on joue une comédie particulière on commence par des révérences, on continue par des embrassades: on dit que la connaissance la plus légère met un homme en droit d'en étouffer un autre. Il semble que le lieu inspire de la tendresse. En effet, on dit que les princesses qui y règnent ne sont point cruelles; et, si on en excepte deux ou trois heures du jour où elles sont assez sauvages, on peut dire que le reste du temps elles sont traitables, et que c'est une ivresse qui les quitte aisément.

Tout ce que je te dis ici se passe à peu près de même dans un autre endroit qu'on nomme l'Opéra : toute la différence est que l'on parle à l'un, et que l'on chante à l'autre. Un de mes amis

me mena l'autre jour dans la loge où se déshabillait une des principales actrices. Nous fimes si bien connaissance, que le lendemain je reçus d'elle cette lettre.

« MONSIEUR,

» Je suis la plus malheureuse fille du monde ; j'ai toujours été » la plus vertueuse actrice de l'Opéra. Il y a sept ou huit mois » que j'étais dans la loge où vous me vîtes hier: comme je » m'habillais en prêtresse de Diane, un jeune abbé vint m'y » trouver; et, sans respect pour mon habit blanc

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mon voile » et mon bandeau, il me ravit mon innocence. J'ai beau lui exagérer le sacrifice que je lui ai fait, il se met à rire, et me >> soutient qu'il m'a trouvée très-profane. Cependant je suis si » grosse, que je n'ose plus me présenter sur le théâtre : car je suis, sur le chapitre de l'honneur, d'une délicatesse inconcevable; et je soutiens toujours qu'à une fille bien née il est plus » facile de faire perdre la vertu que la modestie. Avec cette » délicatesse, vous jugez bien que ce jeune abbé n'eût jamais réussi, s'il ne m'avait promis de se marier avec moi : » un motif si légitime me fit passer sur les petites formalités >> ordinaires, et commencer par où j'aurais dû finir. Mais, puisque son infidélité m'a déshonorée, je ne veux plus vivre à l'Opéra, où, entre vous et moi, l'on ne me donne guère de quoi vivre car, à présent que j'avance en âge, et que je perds du côté des charmes, ma pension, qui est toujours la » même, semble diminuer tous les jours. J'ai appris, par un » homme de votre suite, que l'on faisait un cas infini, dans » votre pays, d'une bonne danseuse, et que, si j'étais à Ispa» han, ma fortune serait aussitôt faite. Si vous vouliez m'ac»corder votre protection, et m'emmener avec vous dans ce pays-là, vous auriez l'avantage de faire du bien à une fille qui, par sa vertu et sa conduite, ne se rendrait pas indigne » de vos bontés. Je suis... »

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De Paris, le 2 de la lune de Chalval 1712.

LETTRE XXIX.

RICA A IBBEN,

A SMYRNE.

LE Le pape est le chef des Chrétiens. C'est une vieille idole qu'on encense par habitude. Il était autrefois redoutable aux princes mêmes: car il les déposait aussi facilement que nos magnifiques sultans déposent les rois d'Imirette et de Géorgie. Mais on ne le

craint plus. Il se dit successeur d'un des premiers Chrétiens, qu'on appelle saint Pierre : et c'est certainement une riche succession; car il a des trésors immenses, et un grand pays sous sa domination.

Les évêques sont des gens de loi qui lui sont subordonnés, et ont, sous son autorité, deux fonctions bien différentes. Quand ils sont assemblés, ils font, comme lui, des articles de foi. Quand ils sont en particulier, ils n'ont guère d'autre fonction que de dispenser d'accomplir la loi. Car tu sauras que la religion chrétienne est chargée d'une infinité de pratiques très-difficiles : et, comme on a jugé qu'il est moins aisé de remplir ses devoirs que d'avoir des évêques qui en dispensent, on a pris ce dernier parti pour l'utilité publique ; de sorte que, si on ne veut pas faire le rahmazan, si on ne veut pas s'assujettir aux formalités des mariages, si on veut rompre ses vœux, si on veut se marier contre les défenses de la loi, quelquefois même si on veut revenir contre son serment, on va à l'évêque, ou au pape, qui donne aussitôt la dispense.

Les évêques ne font pas des articles de foi de leur propre mouvement. Il y a un nombre infini de docteurs, la plupart dervis, qui soulèvent entre eux mille questions nouvelles sur la religion on les laisse disputer long-temps, et la guerre dure jusqu'à ce qu'une décision vienne la terminer.

y

Aussi puis-je t'assurer qu'il n'y a jamais eu de royaume où il ait eu tant de guerres civiles que dans celui de Christ.

Ceux qui mettent au jour quelque proposition nouvelle sont d'abord appelés hérétiques. Chaque hérésie a son nom, qui est, pour ceux qui y sont engagés, comme le mot de ralliement. Mais n'est hérétique qui ne veut : il n'y a qu'à partager le différent par la moitié, et donner une distinction à ceux qui accusent d'hérésie; et, quelle que soit la distinction, intelligible ou non, elle rend un homme blanc comme de la neige et il peut se faire appeler orthodoxe.

Ce que je te dis est bon pour la France et l'Allemagne : car j'ai ouï dire qu'en Espagne et en Portugal il y a de certains dervis qui n'entendent point raillerie, et qui font brûler un homme comme de la paille. Quand on tombe entre les mains de ces gens-là, heureux celui qui a toujours prié Dieu avec de petits grains de bois à la main, qui a porté sur lui deux morceaux de drap attachés à deux rubans, et qui a été quelquefois dans une province qu'on appelle la Galice! Sans cela, un pauvre diable est bien embarrassé. Quand il jurerait comme un païen qu'il est orthodoxe, on pourrait bien, ne pas demeurer d'accord des qualités, et le brûler comme hérétique : il aurait

beau donner sa distinction; point de distinction: il serait en cendres avant que l'on eût seulement pensé à l'écouter.

Les autres juges présument qu'un accusé est innocent; ceux-ci le présument toujours coupable. Dans le doute, ils tiennent pour règle de se déterminer du côté de la rigueur; apparemment parce qu'ils croient les hommes mauvais. Mais, d'un autre côté, ils en ont une si bonne opinion, qu'ils ne les jugent jamais capables de mentir car ils reçoivent le témoignage des ennemis capitaux, des femmes de mauvaise vie, de ceux qui exercent une profession infâme. Ils font dans leur sentence un petit compliment à ceux qui sont revêtus d'une chemise de soufre, et leur disent qu'ils sont bien fachés de les voir si mal habillés, qu'ils sont doux, qu'ils abhorrent le sang, et sont au désespoir de les avoir condamnés mais, pour se consoler, ils confisquent tous les biens de ces malheureux à leur profit.

:

Heureuse la terre qui est habitée par les enfans des prophètes ! Ces tristes spectacles y sont inconnus (1). La sainte religion que les anges y ont apportée se défend par sa vérité même; elle n'a point besoin de ces moyens violens pour se maintenir.

LES

De Paris, le 4 de la lune de Chalval 1712.

LETTRE XXX.

RICA AU MÊME,

A SMYRNE.

Es habitans de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance. Lorsque j'arrivai, je fus regardé comme si j'avais été envoyé du ciel : vieillards, hommes, femmes, enfans, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres; si j'étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi ; les femmes mêmes faisaient un arc-en-ciel nuancé de mille couleurs qui m'entourait. Si j'étais aux spectacles, je trouvais d'abord cent lorgnettes dressées contre ma figure: enfin jamais homme n'a tant été vu que moi. Je souriais quelquefois d'entendre des gens qui n'étaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaient entre eux : Il faut avouer qu'il a l'air bien persan. Chose admirable! je trouvais de mes portraits partout; je me voyais multiplié dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne m'avoir pas assez vu.

Tant d'honneurs ne laissent pas d'être à charge : je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare; et, quoique j'aie très-bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que (1) Les Persans sont les plus tôlérans de tous les Mahometans,

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