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En effet, le premier objet d'un homme religieux ne doit-il pas être de plaire à la divinité qui a établi la religion qu'il professe? Mais le moyen le plus sûr pour y parvenir est sans doute d'observer les règles de la société et les devoirs de l'humanité. Car en quelque religion qu'on vive, dès qu'on en suppose une, il faut bien que l'on suppose aussi que Dieu aime les hommes, puisqu'il établit une religion pour les rendre heureux : que s'il aime les hommes, on est assuré de lui plaire en les aimant aussi ; c'est-àdire en exerçant envers eux tous les devoirs de la charité et de l'humanité, et en ne violant point les lois sous lesquelles ils vivent. Par-là on est bien plus sûr de plaire à Dieu qu'en observant telle ou telle cérémonie : car les cérémonies n'ont point un degré de bonté par elles-mêmes; elles ne sont bonnes qu'avec égard et dans la supposition que Dieu les a commandées. Mais c'est la matière d'une grande discussion: on peut facilement s'y tromper, car il faut choisir les cérémonies d'une religion entre celles de deux mille.

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Un homme faisait tous les jours à Dieu cette prière : Seigneur, je n'entends rien dans les disputes que l'on fait sans cesse à votre sujet je voudrais vous servir selon votre volonté; mais chaque homme que je consulte veut que je vous serve à la sienne. Lorsque je veux vous faire ma prière, je ne sais en quelle langue je dois vous parler. Je ne sais pas non plus en quelle posture je dois me mettre l'un dit que je dois vous prier debout; l'autre veut que je sois assis; l'autre exige que mon corps porte sur mes genoux. Ce n'est pas tout: il y en a qui prétendent que je dois me laver tous les matins avec de l'eau froide; d'autres soutiennent que vous me regarderez avec horreur, si je ne me fais pas couper un petit morceau de chair. Il m'arriva l'autre jour de manger un lapin dans un caravanserail: trois hommes, qui étaient auprès de là, me firent trembler: ils me soutinrent tous trois que je vous avais grièvement offensé; l'un (1), parce que cet animal était immonde; l'autre (2), parce qu'il était étouffé; l'autre enfin (3), parce qu'il n'était pas poisson. Un brachmane qui passait par-là, et que je pris pour juge, me dit : Ils ont tort, car apparemment vous n'avez pas tué vous-même cet animal. Si fait, lui dis-je. Ah! vous avez commis une action abominable, et que Dieu ne vous pardonnera jamais, me dit-il d'une voix sévère : : que savez-vous si l'âme de votre père n'était pas passée dans cette bête? Toutes ces choses, Seigneur, me jettent dans un embarras inconcevable : je ne puis remuer la tête que je ne sois menacé de vous offenser; cependant je voudrais vous plaire, et employer à cela la vie que je tiens de vous. Je ne sais (1) Un Juif. - (2) Un Turc. (3) Un Arménien.

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si je me trompe; mais je crois que le meilleur moyen pour y parvenir est de vivre en bon citoyen dans la société où vous m'avez fait naître, et en bon père dans la famille que vous m'avez donnée.

De Paris, le 8 de la lune de Chahban 1713.

LETTRE XLVII.

ZACHI A USBEK,

A PARIS.

J'ai une grande nouvelle à t'apprendre : je me suis réconciliée

avec Zéphis; le sérail, partagé entre nous, s'est réuni. Il ne manque que toi dans ces lieux où la paix règne : viens, mon cher Usbek, viens y faire triompher l'amour.

Je donnai à Zéphis un grand festin, où ta mère, tes femmes, et tes principales concubines furent invitées; tes tantes et plusieurs de tes cousines s'y trouvèrent aussi : elles étaient venues à cheval, couvertes du sombre nuage de leurs voiles et de leurs habits.

Le lendemain nous partîmes pour la campagne, où nous espérions être plus libres : nous montâmes sur nos chameaux, et nous nous mêmes quatre dans chaque loge. Comme la partie avait été faite brusquement, nous n'eûmes pas le temps d'envoyer à la ronde annoncer le courouc: mais le premier eunuque, toujours industrieux, prit une autre précaution; car il joignit à la toile qui nous empêchait d'être vues un rideau si épais, que nous ne pouvions absolument voir personne.

Quand nous fumes arrivées à cette rivière qu'il faut traverser, chacun de nous se mit, selon sa coutume, dans une boîte, et se fit porter dans le bateau: car on nous dit que la rivière était pleine de monde. Un curieux, qui s'approcha de trop près du lieu où nous étions enfermées, reçut un coup mortel qui lui ôta pour jamais la lumière du jour; un autre, qu'on trouva se baignant tout nu sur le rivage, eut le même sort; et tes fidèles eunuques sacrifièrent à ton honneur et au nôtre ces deux infortunés.

Mais écoute le reste de nos aventures. Quand nous fumes au milieu du fleuve, un vent si impétueux s'éleva, et un nuage si affreux couvrit les airs, que nos matelots commencèrent à désespérer. Effrayées de ce péril, nous nous évanouimes presque toutes.

Je

me souviens que j'entendis la voix et la dispute de nos eunuques, dont les uns disaient qu'il fallait nous avertir du péril et nous tirer de notre prison; mais leur chef soutint toujours qu'il mourrait plutôt que de souffrir que son maître fût ainsi déshonoré, et qu'il enfoncerait un poignard dans le sein de celui qui

ferait des propositions si hardies. Une de mes esclaves, tout hors d'elle, courut vers moi, déshabillée, pour me secourir; mais un eunuque noir la prit brutalement, et la fit rentrer dans l'endroit d'où elle était sortie. Pour lors, je m'évanouis, et ņe revins à moi qu'après que le péril fut passé.

Que les voyages sont embarrassans pour les femmes ! Les hommes ne sont exposés qu'aux dangers qui menacent leur vie ; et nous sommes, à tous les instans, dans la crainte de perdre notre vie ou notre vertu. Adieu, mon cher Usbek. Je t'adorerai toujours.

Du sérail de Fatmé, le 2 de la lune de Rahmazan 1713.

LETTRE XLVIII,

USBEK A RHEDI,

A VENISE.

Ceux qui aiment à s'instruire ne sont jamais oisifs. Quoique je ne sois chargé, d'aucune affaire importante, je suis cependant dans une occupation continuelle. Je passe ma vie à examiner : j'écris le soir ce que j'ai remarqué, ce que j'ai vu, ce que j'ai entendu dans la journée; tout m'intéresse, tout m'étonne : je suis comme un enfant dont les organes encore tendres sont vivement frappés par les moindres objets.

Tu ne le croirais pas peut-être : nous sommes reçus agréablement dans toutes les compagnies et dans toutes les sociétés. Je crois devoir beaucoup à l'esprit vif et à la gaieté naturelle de Rica, qui fait qu'il recherche tout le monde, et qu'il en est également recherché. Notre air étranger n'offense plus personne; nous jouissons même de la surprise où l'on est de nous trouver quelque politesse; car les Français n'imaginent pas que notre climat produise des hommes. Cependant, il faut l'avouer, ils valent la peine qu'on les détrompe.

J'ai passé quelques jours dans une maison de campagne auprès de Paris, chez un homme de considération, qui est ravi d'avoir de la compagnie chez lui. Il a une femme fort aimable, et qui joint à une grande modestie une gaieté que la vie retirée ôte toujours à nos dames de Perse.

Étranger que j'étais, je n'avais rien de mieux à faire que d'étudier cette foule de gens qui y abordaient sans cesse, et qui me présentaient toujours quelque chose de nouveau. Je remar~ quai d'abord un homme dont la simplicité me plut ; je m'attachai à lui, il s'attacha à moi; de sorte que nous nous trouvions toujours l'un auprès de l'autre.

Un jour que, dans un grand cercle, nous nous entretenions en particulier, laissant les conversations générales à elles-mêmes: Vous trouverez peut-être en moi, lui dis-je, plus de curiosité que de politesse; mais je vous supplie d'agréer que je vous fasse quelques questions; car je m'ennuie de n'être au fait de rien, et de vivre avec des gens que je ne saurais démêler. Mon esprit travaille depuis deux jours: il n'y a pas un seul de ces hommes qui ne m'ait donné deux cents fois la torture; et je ne les devinerais de mille ans : ils me sont plus invisibles que les femmes de notre grand monarque. Vous n'avez qu'à dire, me répondit-il, et je vous instruirai de tout ce que vous souhaiterez; d'autant mieux que je vous crois homme discret, et que vous n'abuserez pas de ma confiance.

Qui est cet homme, lui dis-je, qui nous a tant parlé des repas qu'il a donnés aux grands, qui est si familier avec vos ducs, et qui parle si souvent à vos ministres, qu'on me dit être d'un accès si difficile? Il faut bien que ce soit un homme de qualité : mais il a la physionomie si basse, qu'il ne fait guère honneur aux gens de qualité; et d'ailleurs je ne lui trouve point d'éducation. Je suis étranger; mais il me semble qu'il y a, en général, une certaine politesse commune à toutes les nations; je ne lui trouve point de celle-là est-ce que vos gens de qualité sont plus mal élevés que les autres? Cet homme, me répondit-il en riant, est un fermier : il est autant au-dessus des autres par ses richesses, qu'il est au-dessous de tout le monde par sa naissance : il aurait la meilleure table de Paris, s'il pouvait se résoudre à ne manger jamais chez lui. Il est bien impertinent, comme vous voyez ; mais il excelle par son cuisinier: aussi n'en est-il pas ingrat; car vous avez entendu qu'il l'a loué tout aujourd'hui.

Et ce gros homme vêtu de noir, lui dis-je, que cette dame a fait placer auprès d'elle, comment a-t-il un habit si lugubre, avec un air si gai et un teint si fleuri? il sourit gracieusement dès qu'on lui parle ; sa parure est plus modeste, mais plus arran gée que celle de vos femmes. C'est, me répondit-il, un prédicateur, et, qui pis est, un directeur. Tel que vous le voyez, il en sait plus que les maris; il connaît le faible des femmes elles savent aussi qu'il a le sien. Comment! dis-je, il parle toujours de quelque chose qu'il appelle la grâce! Non pas toujours, me répondit-il à l'oreille d'une jolie femme, il parle encore plus volontiers de sa chute : il foudroie en public; mais il est doux comme un agneau en particulier. Il me semble, dis-je, qu'on le distingue beaucoup, et qu'on a de grands égards pour lui. Comment! si on le distingue! C'est un homme nécessaire; il fait la douceur de la vie retirée: petits conseils, soins officieux, visites

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marquées; il dissipe un mal de tête mieux qu'homme du monde; il est excellent.

Mais, si je ne vous importune pas, dites-moi qui est celui qui est vis-à-vis de nous, qui est si mal habillé, qui fait quelquefois des grimaces, et a un langage différent des autres ; qui n'a pas d'esprit pour parler, mais qui parle pour avoir de l'esprit. C'est, me répondit-il, un poëte, et le grotesque du genre humain. Ces gens-là disent qu'ils sont nés ce qu'ils sont; cela est vrai ; et aussi ce qu'ils seront toute leur vie, c'est-à-dire presque toujours les plus ridicules de tous les hommes : aussi ne les épargne-t-on point; on verse sur eux le mépris à pleines mains. La famine a fait entrer celui-ci dans cette maison; et il Ꭹ est bien reçu du maître et de la maîtresse, dont la bonté et la politesse ne se démentent à l'égard de personne. Il fit leur épithalame lorsqu'ils se marièrent : c'est ce qu'il a fait de mieux en sa vie ; car il s'est trouvé que le mariage a été aussi heureux qu'il l'a prédit.

Vous ne le croiriez pas peut-être, ajouta-t-il, entêté comme vous êtes des préjugés de l'Orient : il y a parmi nous des mariages heureux, et des femmes dont la vertu est un gardien sévère. Les gens dont nous parlons goûtent entre eux une paix qui ne peut être troublée ; ils sont aimés et estimés de tout le monde : il n'y a qu'une chose, c'est que leur bonté naturelle leur fait recevoir chez eux toute sorte de monde; ce qui fait qu'ils ont quelquefois mauvaise compagnie. Ce n'est pas que je les désapprouve; il faut vivre avec les hommes tels qu'ils sont : les gens qu'on dit être de si bonne compagnie ne sont souvent que ceux dont les vices sont plus raffinés; et peut-être en est-il comme des poisons, dont les plus subtils sont aussi les plus dangereux.

Et ce vieux homme, lui dis-je tout bas, qui a l'air si chagrin? Je l'ai pris d'abord pour un étranger; car, outre qu'il est habillé autrement que les autres, il censure tout ce qui se fait en France, et n'approuve pas votre gouvernement. C'est un vieux guerrier, me dit-il, qui se rend mémorable à tous ses auditeurs par la longueur de ses exploits. Il ne peut souffrir que la France ait gagné des batailles où il ne se soit pas trouvé, ou qu'on vante un siége où il n'ait pas monté à la tranchée ; il se croit si nécessaire à notre histoire, qu'il s'imagine qu'elle finit où il a fini; il regarde quelques blessures qu'il a reçues, comme la dissolution de la monarchie; et, à la différence de ces philosophes qui disent qu'on ne jouit que du présent, et que le passé n'est rien, il ne jouit au contraire que du passé, et n'existe que dans les campagnes qu'il a faites; il respire dans les temps qui se sont écoulés, comme les héros doivent vivre dans ceux qui passeront après eux. Mais pourquoi, dis-je, a-t-il quitté le service? Il ne l'a point

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