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enfans plus pauvres que lui, il ne se mariera pas; ou, s'il se marie, il craindra d'avoir un trop grand nombre d'enfans, qui pourraient achever de déranger sa fortune, et qui descendraient de la condition de leur père.

J'avoue que le rustique ou paysan, étant une fois marié, peuplera indifféremment, soit qu'il soit riche, soit qu'il soit pauvre; cette considération ne le touche pas : il a toujours un héritage sûr à laisser à ses enfans, qui est son hoyau ; et rien ne l'empêche de suivre aveuglément l'instinct de la nature.

Mais à quoi sert dans un État ce nombre d'enfans qui languissent dans la misère? Ils périssent presque tous à mesure qu'ils naissent; ils ne prospèrent jamais : faibles et débiles, ils meurent en détail de mille manières, tandis qu'ils sont emportés en gros par les fréquentes maladies populaires que la misère et la mauvaise nourriture produisent toujours ceux qui en échappent atteignent l'âge viril sans en avoir la force, et languissent tout le reste de leur vie.

:

Les hommes sont comme les plantes, qui ne croissent jamais heureusement si elles ne sont bien cultivées chez les peuples misérables, l'espèce perd, et même quelquefois dégénère.

La France peut fournir un grand exemple de tout ceci. Dans les guerres passées, la crainte où étaient tous les enfans de famille d'être enrôlés dans la milice les obligeait de se marier, et cela dans un âge trop tendre et dans le sein de la pauvreté. De tant de mariages il naissait bien des enfans, que l'on cherche encore en France, et que la misère, la famine et les maladies en ont fait disparaître.

Que si, sous un ciel aussi heureux, dans un royaume aussi policé que la France, on fait de pareilles remarques, que sera-ce dans les autres États?

De Paris, le 23 de la lune de Rahmazan 1718.

LETTRE CXXIII.

USBEK AU MOLLAK MÉHÉMET ALI, Gardien des trois Tombeaux,

QUE

A COM.

UE nous servent les jeûnes des immaums et les cilices des mollaks? La main de Dieu s'est deux fois appesantie sur les enfans de la loi : le soleil s'obscurcit, et semble n'éclairer plus que leurs défaites; leurs armées s'assemblent, et elles sont dissipées comme la poussière.

L'empire des Osmanlins est ébranlé par les deux plus grands

échecs qu'il ait jamais reçus. Un moufti chrétien ne le soutient qu'avec peine: le grand-vizir d'Allemagne est le fléau de Dieu, envoyé pour châtier les sectateurs d'Omar : il porte partout la colère du ciel irrité contre leur rébellion et leur perfidie.

Esprit sacré des immaums, tu pleures nuit et jour sur les enfans du prophète que le détestable Omar a dévoyés: tes entrailles s'émeuvent à la vue de leurs malheurs: tu désires leur conversion, et non pas leur perte: tu voudrais les voir réunis sous l'étendard d'Hali par les larmes des saints, et non pas dispersés dans les montagnes et dans les déserts par la terreur des infidèles. De Paris, le premier de la lune de Chalval 1718.

QUEL

LETTRE CXXIV.

USBEK A RHEDI,

A VENISE.

UEL peut être le motif de ces libéralités immenses que les princes versent sur leurs courtisans ? Veulent-ils se les attacher? ils leur sont déjà acquis autant qu'ils peuvent l'être. Et d'ailleurs, s'ils acquièrent quelques-uns de leurs sujets en les achetant, il faut bien, par la même raison, qu'ils en perdent une infinité d'autres en les appauvrissant,

Quand je pense à la situation des princes, toujours entourés d'hommes avides et insatiables, je ne puis que les plaindre; et je les plains encore davantage, lorsqu'ils n'ont pas la force de résister à des demandes toujours onéreuses à ceux qui ne demandent rien.

Je n'entends jamais parler de leurs libéralités, des grâces et des pensions qu'ils accordent, que je ne me livre à mille réflexions : une foule d'idées se présentent à mon esprit ; il me semble que j'entends publier cette ordonnance :

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«Le courage infatigable de quelques-uns de nos sujets à nous » demander des pensions ayant exercé sans relâche notre muni>>ficence royale, nous avons enfin cédé à la multitude des requêtes qu'ils nous ont présentées, lesquelles ont fait jusqu'ici » la plus grande sollicitude du trône. Ils nous ont représenté » qu'ils n'ont point manqué, depuis notre avénement à la cou» ronne, de se trouver à notre lever; que nous les avons toujours » vus sur notre passage, immobiles comme des bornes; et qu'ils » se sont extrêmement élevés pour regarder, sur les épaules les plus hautes, notre sérénité. Nous avons même reçu plusieurs requêtes de la part de quelques personnes du beau sexe, qui » nous ont suppliés de faire attention qu'il est notoire qu'elles

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» sont d'un entretien très-difficile : quelques-unes même très» surannées nous ont priés, branlant la tête, de faire attention » qu'elles ont fait l'ornement de la cour des rois nos prédéces>> seurs; et que, si les généraux de leurs armées ont rendu l'État >> redoutable par leurs faits militaires, elles n'ont point rendu la » cour moins célèbre par leurs intrigues. Ainsi, désirant traiter » les supplians avec bonté et leur accorder toutes leurs prières, » nous avons ordonné ce qui suit :

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» Que tout laboureur ayant cinq enfans retranchera journel>> lement la cinquième partie du pain qu'il leur donne. Enjoi»gnons aux pères de famille de faire la diminution sur chacun » d'eux aussi juste que faire se pourra.

» Défendons expressément à tous ceux qui s'appliquent à la >> culture de leurs héritages, ou qui les ont donnés à titre de ferme, d'y faire aucune réparation, de quelque espèce qu'elle » soit.

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» Ordonnons que toutes personnes qui s'exercent à des tra» yaux vils et mécaniques, lesquelles n'ont jamais été au lever » de notre majesté, n'achètent désormais d'habits à eux, à leurs » femmes et à leurs enfans, que de quatre ans en quatre ans : » leur interdisons en outre très-étroitement ces petites réjouis»sances qu'ils avaient coutume de faire dans leurs familles les principales fêtes de l'année.

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» Et, d'autant que nous demeurons avertis que la plupart des bourgeois de nos bonnes villes, sont entièrement occupés à pourvoir à l'établissement de leurs filles, lesquelles ne se sont rendues recommandables dans notre État que par une triste » et ennuyeuse modestie, nous ordonnons qu'ils attendront à » les marier jusqu'à ce qu'ayant atteint l'âge limité par les or» donnances, elles viennent à les y contraindre. Défendons à » nos magistrats de pourvoir à l'éducation de leurs enfans. De Paris, le premier de la lune de Chalval 1718.

LETTRE CXXV,

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RICA A ***.

ON
On est bien embarrassé dans toutes les religions, quand il s'agit

N

de donner une idée des plaisirs qui sont destinés à ceux qui ont bien vécu. On épouvante facilement les méchans par une longue suite de peines dont on les menace : mais pour les gens vertueux, on ne sait que leur promettre. Il semble que la nature des plaisirs soit d'être d'une courte durée; l'imagination a peine à en représenter d'autres.

J'ai vu des descriptions du paradis capables d'y faire renoncer tous les gens de bon sens : les uns font jouer sans cesse de la flûte ces ombres heureuses; d'autres les condamnent au supplice de se promener éternellement; d'autres enfin, qui les font rêver là-haut aux maîtresses d'ici-bas, n'ont pas cru que cent millions d'années fussent un terme assez long pour leur ôter le goût de ces inquiétudes amoureuses.

Je me souviens, à ce propos, d'une histoire que j'ai ouï raconter à un homme qui avait été dans le pays du Mogol; elle fait voir que les prêtres indiens ne sont pas moins stériles que les autres dans les idées qu'ils ont des plaisirs du paradis.

UNE femme qui venait de perdre son mari vint en cérémonie chez le gouverneur de la ville lui demander de se brûler: mais, comme dans les pays soumis aux Mahométans, on abolit, tant qu'on peut, cette cruelle coutume, il la refusa absolument.

Lorsqu'elle vit ses prières impuissantes, elle se jeta dans un furieux emportement. Voyez, disait-elle, comme on est gêné! Il ne sera seulement pas permis à une pauvre femme de se brûler quand elle en a envie! A-t-on jamais vu rien de pareil? Ma mère, ma tante, mes sœurs, se sont bien brûlées! Et, quand je vais demander permission à ce maudit gouverneur, il se fâche, et se met à crier comme un enragé.

Il se trouva là par hasard un jeune bonze. Homme infidèle, lui dit le gouverneur, est-ce toi qui as mis cette fureur dans l'esprit de cette femme? Non, dit-il, je ne lui ai jamais parlé : mais, si elle m'en croit, elle consommera son sacrifice; elle fera une action agréable au dieu Brama: aussi en sera-t-elle bien récompensée; car elle retrouvera dans l'autre monde son mari, et elle recommencera avec lui un second mariage. Que dites-vous? dit la femme surprise. Je retrouverai mon mari? Ah! je ne me brûle pas. Il était jaloux, chagrin, et d'ailleurs si vieux, que, si le dieu Brama n'a point fait sur lui quelque réforme, sûrement il n'a pas besoin de moi. Me brûler pour lui!... pas seulement le bout du doigt pour le retirer du fond des enfers. Deux vieux bonzes qui me séduisaient, et qui savaient de quelle manière je vivais avec lui, n'avaient garde de me tout dire : mais si le dieu Brama n'a que ce présent à me faire, je renonce à cette béatitude. Monsieur le gouverneur, je me fais mahométane. Et pour vous, dit-elle en regardant le bonze, vous pouvez, si vous voulez, aller dire à mon mari que je me porte fort bien. De Paris, le 2 de la lune de Chelval 1718.

LETTRE CXXVI.

RICA A USBEK,

Λ ***.

E t'attends ici demain : cependant je t'envoie tes lettres d'Ispahan. Les miennes portent que l'ambassadeur du grand Mogol a reçu ordre de sortir du royaume. On ajoute qu'on a fait arrêter le prince, oncle du roi, qui est chargé de son éducation; qu'on l'a fait conduire dans un château, où il est très-étroitement gardé, et qu'on l'a privé de tous ses honneurs. Je suis touché du sort de ce prince, et je le plains.

Je te l'avoue, Usbek, je n'ai jamais vu couler les larmes de personne sans en être attendri: je sens de l'humanité pour les malheureux, comme s'il n'y avait qu'eux qui fussent hommes; et les grands même, pour lesquels je trouve dans mon cœur de la dureté quand ils sont élevés, je les aime sitôt qu'ils tombent.

En effet, qu'ont-ils à faire, dans la prospérité, d'une inutile tendresse ? elle approche trop de l'égalité. Ils aiment bien mieux du respect, qui ne demande point de retour. Mais, sitôt qu'ils sont déchus de leur grandeur, il n'y a que nos plaintes qui puissent leur en rappeler l'idée.

Je trouve quelque chose de bien naïf, et même de bien grand, dans les paroles d'un prince qui, près de tomber entre les mains de ses ennemis, voyant ses courtisans autour de lui qui pleu raient Je sens, leur dit-il, à vos larmes, que je suis encore

votre roi.

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De Paris, le 3 de la lune de Chalval 1718.

LETTRE CXXVII.

RICA A IBBEN,

A SMYRNE.

u as ouï parler mille fois du fameux roi de Suède. Il assiégeait une place dans un royaume qu'on nomme la Norwége: comme il visitait la tranchée seul avec un ingénieur, il a reçu un coup dans la tête, dont il est mort. On a fait sur-le-champ arrêter son premier ministre : les États se sont assemblés, et l'ont condamné à perdre la tête.

Il était accusé d'un grand crime : c'était d'avoir calomnié la nation, et de lui avoir fait perdre la confiance de son roi : forfait qui, selon moi, mérite mille morts.

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