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fallu moins de moulures et plus d'uniformité dans les membres de l'architecture: si notre vue avait été plus distincte, et notre ame capable d'embrasser plus de choses à la fois, il aurait fallu dans l'architecture plus d'ornemens : si nos oreilles avaient été faites comme celles de cértains animaux, il aurait fallu réformer bien de nos instrumens de musique. Je sais bien que les rapports que les choses ont entre elles auraient subsisté ; mais le rapport qu'elles ont avec nous ayant changé, les choses qui, dans l'état présent, font un certain effet sur nous, ne le feraient plus; et, comme la perfection des arts est de nous présenter les choses telles, qu'elles nous fassent le plus de plaisir qu'il est possible, il faudrait qu'il y eût du changement dans les arts, puisqu'il y en aurait dans la manière la plus propre à nous donner du plaisir.

On croit d'abord qu'il suffirait de connaître les diverses sources de nos plaisirs pour avoir le goût, et que, quand on a lu ce que la philosophie nous dit là-dessus, on a du goût, et que l'on peut hardiment juger des ouvrages. Mais le goût naturel n'est pas une connaissance de théorie; c'est une application prompte et exquise des règles mêmes que l'on ne connaît pas. Il n'est pas nécessaire de savoir que le plaisir que nous donne une certaine chose que nous trouvons belle, vient de la surprise; il suffit qu'elle nous surprenne, et qu'elle nous surprenne autant qu'elle le doit, ni plus ni moins.

Ainsi ce que nous pourrions dire ici, et tous les préceptes que nous pourrions donner pour former le goût ne peuvent regarder que le goût acquis; c'est-à-dire, ne peuvent regarder directement que ce goût acquis, quoiqu'ils regardent encore indirectement le goût naturel car le goût acquis affecte, change, augmente et diminue le goût naturel, comme le goût naturel affecte, change, augmente et diminue le goût acquis.

La définition la plus générale du goût, sans considérer s'il est bon ou mauvais, juste ou non, est ce qui nous attache à une chose par le sentiment ; ce qui n'empêche pas qu'il ne puisse s'appliquer aux choses intellectuelles, dont la connaissance fait tant de plaisir à l'âme, qu'elle était la seule félicité que de certains philosophes pussent comprendre. L'âme connaît par ses idées et par ses sentimens; elle reçoit des plaisirs par ces idées et par ces sentimens; car, quoique nous opposions l'idée au sentiment, cependant, lorsqu'elle voit une chose, elle la sent; et il n'y a point de choses si intellectuelles qu'elle ne voie ou qu'elle ne croie voir, et par conséquent qu'elle ne sente.

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DE L'ESPRIT EN GÉNÉRAL.

L'ESPRIT est le genre qui a sous lui plusieurs espèces, le génie, le bon sens, le discernement, la justesse, le talent et le goût. L'esprit consiste à avoir les organes bien constitués, relativement aux choses où il s'applique. Si la chose est extrêmement particulière, il se nomme talent; s'il a plus de rapport à un certain plaisir délicat des gens du monde, il se nomme goût; si la chose particulière est unique chez un peuple, le talent se nomme esprit, comme l'art de la guerre et l'agriculture chez les Romains, la chasse chez les sauvages, etc.

DE LA CURIOSITÉ.

NOTRE âme est faite pour penser, c'est-à-dire, pour apercevoir or, un tel être doit avoir de la curiosité; car, comme toutes les choses sont dans une chaîne où chaque idée en précède une et en suit une autre, on ne peut aimer à voir une chose sans désirer d'en voir une autre; et, si nous n'avions pas ce désir pour celle-ci, nous n'aurions eu aucun plaisir à celle-là. Ainsi, quand on nous montre une partie d'un tableau, nous souhaitons de voir la par tie qu'on nous cache, à proportion du plaisir que nous a fait celle que nous avons vue.

C'est donc le plaisir que nous donné un objet qui nous porte vers un autre ; c'est pour cēla que l'âme cherche toujours des choses nouvelles et ne se repose jamais.

:

Ainsi on sera toujours sûr de plaire à l'âme lorsqu'on lui fera voir beaucoup de choses, ou plus qu'elle n'avait espéré d'en voir. Par-là on peut expliquer la raison pourquoi nous avons du plaisir lorsque nous voyons un jardin bien régulier, et que nous en avons encore lorsque nous voyons un lieu brut et champêtre c'est la même cause qui produit ces effets. Comme nous aimons à voir un grand nombre d'objets, nous voudrions étendre notre vue, être en plusieurs lieux, parcourir plus d'espace; enfin notre âme fuit les bornes, et elle voudrait, pour ainsi dire, étendre la sphère de sa présence : ainsi c'est un grand plaisir pour elle de porter sa vue aú loin. Mais comment le faire? Dans les villes, notre vue est bornée par des maisons : dans les campagnes, elle l'est par mille obstacles; à peine pouvons-nous voir trois ou quatre arbres. L'art vient à notre secours, et nous découvre la nature, qui se cache elle-même. Nous aimons l'art, et nous l'aimons. mieux que la nature, c'est-à-dire, la nature dérobée à nos yeux : mais quand nous trouvons de belles situations, quand notre vue en liberté peut voir au loin des prés, des ruisseaux, des collines et ces dispositions qui sont, pour ainsi dire, créées exprès, elle

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est bien autrement enchantée que lorsqu'elle voit les jardins de Le Nostre; parce que la nature ne se copie pas, au lieu que l'art se ressemble toujours. C'est pour cela que dans la peinture nous aimons mieux un paysage que le plan du plus beau jardin du monde : c'est que la peinture ne prend la nature que là où elle est belle, là où la vue se peut porter au loin et dans toute son étendue, là où elle est variée, là où elle peut être vue avec plaisir.

Ce qui fait ordinairement une grande pensée, c'est lorsqu'on dit une chose qui en fait voir un grand nombre d'autres, et qu'on nous fait découvrir tout d'un coup cè que nous ne pouvions espérer qu'après une grande lecture.

Florus nous représente en peu de paroles toutes les fautes d'Annibal. « Lorsqu'il pouvait, dit-il, se servir de la victoire, il aima >> mieux en jouir. » Cùm victoriâ posset uti, frui maluit.

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Il nous donne une idée de toute la guerre de Macédoine, quand il dit : « Ce fut vaincre que d'y entrer. » Introisse victoria fuit. Il nous donne tout le spectacle de la vie de Scipion, quand il dit de sa jeunesse : « C'est le Scipion qui croît pour la destruc» tion de l'Afrique. » Hic erit Scipio qui in exitium Africa crescit. Vous croyez voir un enfant qui croît et s'élève comme un géant.

Enfin il nous fait voir le grand caractère d'Annibal, la situation de l'univers, et toute la grandeur du peuple romain, lorsqu'il dit : «< Annibal fugitif cherchait au peuple romain un » ennemi par tout l'univers. » Qui, profugus ex Africa, hostem populo romano toto orbe quærebat.

DES PLAISIRS DE L'ORDRE.

IL Il ne suffit pas de montrer à l'âme beaucoup de choses, il faut les lui montrer avec ordre; car pour lors nous nous ressouvenons de ce que nous avons vu, et nous commençons à imaginer ce que nous verrons; notre âme se félicite de son étendue et de sa péné tration: mais, dans un ouvrage où il n'y a point d'ordre, l'âme sent à chaque instant troubler celui qu'elle y veut mettre. La suite que l'auteur s'est faite, et celle que nous nous faisons, se confondent; l'âme ne retient rien, ne prévoit rien; elle est hu miliée par la confusion de ses idées, par l'inanité qui lui reste; elle est vainement fatiguée, et ne peut goûter aucun plaisir : c'est pour cela que, quand le dessein n'est pas d'exprimer ou de montrer la confusion, on met toujours de l'ordre dans la confusion même. Ainsi les peintres groupent leurs figures; ainsi ceux qui peignent les batailles mettent-ils sur le devant de leurs tableaux les choses que l'œil doit distinguer, et la confusion dans le fond

et le lointain.

DES PLAISIRS DE LA VARIÉTÉ.

MAIS s'il faut de l'ordre dans les choses, il faut aussi de la va→ riété : sans cela l'âme languit, car les choses semblables lui paraissent les mêmes ; et si une partie d'un tableau qu'on nous découvre ressemblait à une autre que nous aurions vue, cet objet serait nouveau sans le paraître, et ne ferait aucun plaisir. Et comme les beautés des ouvrages de l'art, semblables à celles de la nature, ne consistent que dans les plaisirs qu'elles nous font, il faut les rendre propres le plus que l'on peut à varier ces plaisirs; il faut faire voir à l'âme des choses qu'elle n'a pas vues; faut que le sentiment qu'on lui donne soit différent de celui qu'elle vient d'avoir.

il

C'est ainsi que les histoires nous plaisent par la variété des récits, les romans par la variété des prodiges, les pièces de théâtre par la variété des passions, et que ceux qui savent instruire modifient le plus qu'ils peuvent le ton uniforme de l'instruction.

Une longue uniformité rend tout insupportable : le même ordre des périodes long-temps continué accable dans une harangue; les mêmes nombres et les mêmes chutes mettent de l'ennui dans un long poëme. S'il est vrai que l'on ait fait cette fameuse allée de Moscou à Pétersbourg, le voyageur doit périr d'ennui, renfermé entre les deux rangs de cette allée; et celui qui aura voyagé long-temps dans les Alpes, en descendra dégoûté des situations les plus heureuses et des points de vue les plus charmans. L'âme aime la variété; mais elle ne l'aime, avons-nous dit, que parce qu'elle est faite pour connaître et pour voir : il faut donc qu'elle puisse voir, et que la variété le lui permette; c'està-dire, il faut qu'une chose soit assez simple pour être aperçue, et assez variée pour être aperçue avec plaisir.

Il y a des choses qui paraissent variées, et ne le sont point; d'autres qui paraissent uniformes, et sont très-variées.

L'architecture gothique paraît très-variée : mais la confusion des ornemens fatigue par leur petitesse ; ce qui fait qu'il n'y en a aucun que nous puissions distinguer d'un autre, et leur nombre fait qu'il n'y en a aucun sur lequel l'œil puisse s'arrêter : de manière qu'elle déplaît par les endroits mêmes qu'on a choisis pour la rendre agréable.

Un bâtiment d'ordre gothique est une espèce d'énigme pour l'œil qui le voit; et l'âme est embarrassée comme quand on lui présente un poëme obscur.

L'architecture grecque, au contraire, paraît uniforme; mais, comme elle a les divisions qu'il faut, et autant qu'il en faut pour que l'âme voie précisément ce qu'elle peut voir sans se fatiguer,

mais qu'elle en voie assez pour s'occuper, elle a cette variété la fait regarder avec plaisir.

qui

Il faut que les grandes choses aient de grandes parties: les grands hommes ont de grands bras, les grands arbres ont de grandes branches, et les grandes montagnes sont composées d'autres montagnes qui sont au-dessus et au dessous; c'est la nature des choses qui fait cela.

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L'architecture grecque, qui a peu de divisions, et de grandes divisions, imite les grandes choses: l'âme sent une certaine majesté qui y règne partout.

C'est ainsi que la peinture divise en groupes de trois ou quatre figures celles qu'elle représente dans un tableau: elle imite la nature; une nombreuse troupe se divise toujours en pelotons ; et c'est encore ainsi que la peinture divise en grandes masses ses clairs et ses obscurs.

DES PLAISIR'S DE LA SYMETRIE.

J'ai dit que l'âme aime la variété; cependant, dans la plupart des choses, elle aime à voir une espèce de symétrie. Il semble que cela renferme quelque contradiction: voici comment j'explique cela.

Une des principales causes des plaisirs de notre âme lorsqu'elle voit des objets, c'est la facilité qu'elle a à les apercevoir; et la raison qui fait que la symétrie plaît à l'âme, c'est qu'elle lui épargne de la peine, qu'elle la soulage, et qu'elle coupe, pour ainsi dire, l'ouvrage par la moitié.

De là suit une règle générale : partout où la symétrie est utile à l'âme et peut aider ses fonctions, elle lui est agréable; mais partout où elle est inutile, elle est fade, parce qu'elle ôte la variété. Or les choses que nous voyons successivement doivent avoir de la variété; car notre âme n'a aucune difficulté à les voir: celles, au contraire, que nous apercevons d'un coup -d'œil doivent avoir de la symétrie. Ainsi comme nous apercevons d'un coup-d'œil la façade d'un bâtiment, un parterre, on y met de la symétrie, qui plaît à l'âme par la facilité qu'elle lui donne d'enbrasser tout l'objet.

Comme il faut que l'objet que l'on doit voir d'un, coup-d'œil soit simple, il faut qu'il soit unique, et que les parties se rapportent toutes à l'objet principal: c'est pour cela encore qu'on aime la symétrie; elle fait un tout ensemble.

Il est dans la nature qu'un tout soit achevé, et l'âme qui voit ce tout veut qu'il n'y ait point de partie imparfaite. C'est encore pour cela qu'on aime la symétrie: il faut une espèce de pondération ou de balancement; et un bâtiment avec une aile, ou une

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