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» vous devait avoir la protection de plusieurs, et non pas tous » la protection d'un seul, et où il était inouï qu'un mortel pût » donner ou ôter de pareilles choses. »

A Rome, faite pour s'agrandir, il avait fallu réunir dans les mêmes personnes les honneurs et la puissance; ce qui, dans des temps de trouble, pouvait fixer l'admiration du peuple sur un seul citoyen.

Quand on accorde des honneurs, on sait précisément ce que l'on donne ; mais quand on y joint le pouvoir, on ne peut dire à quel point il pourra être porté.

Des préférences excessives données à un citoyen dans une république ont toujours des effets nécessaires; elles font naître l'envie du peuple, ou elles augmentent sans mesure son amour.

Deux fois Pompée, retournant à Rome, maître d'opprimer la république, eut la modération de congédier ses armées avant que d'y entrer, et d'y paraître en simple citoyen. Ces actions, qui le comblèrent de gloire, firent que, dans la suite, quelque chose qu'il eût fait au préjudice des lois, le sénat se déclara toujours pour lui.

Pompée avait une ambition plus lente et plus douce que celle de César. Celui-ci voulait aller à la souveraine puissance les armes à la main, comme Sylla. Cette façon d'opprimer ne plaisait point à Pompée : il aspirait à la dictature, mais par les suffrages du peuple; il ne pouvait consentir à usurper la puissance, mais il aurait voulu qu'on la lui remît entre les mains.

Comme la faveur du peuple n'est jamais constante, il y eut des temps où Pompée vit diminuer son crédit (1); et, ce qui le toucha bien sensiblement, des gens qu'il méprisait augmentèrent le leur, et s'en servirent contre lui.

Cela lui fit faire trois choses également funestes: il corrompit le peuple à force d'argent, et mit, dans les élections, un prix au suffrage de chaque citoyen.

De plus, il se servit de la plus vile populace pour troubler les magistrats dans leurs fonctions, espérant que les gens sages, lassés de vivre dans l'anarchie, le créeraient dictateur par désespoir. Enfin il s'unit d'intérêts avec César et Crassus. Caton disait que ce n'était pas leur inimitié qui avait perdu la république, mais leur union. En effet, Rome était en ce malheureux état, qu'elle était moins accablée par les guerres civiles que par la paix, qui, réunissant les vues et les intérêts des principaux, ne faisait plus qu'une tyrannie.

Pompée ne prêta pas proprement son crédit à César; mais sans le savoir, il le lui sacrifia. Bientôt César employa contre (1) Voyez Plutarque, Vie de Pompée.

lui les forces qu'il lui avait données, et ses artifices même : il troubla la ville par ses émissaires, et se rendit maître des élections; consuls, préteurs, tribuns, furent achetés au prix qu'ils mirent eux-mêmes.

Le sénat, qui vit clairement les desseins de César, eut recours à Pompée; il le pria de prendre la défense de la répu blique, si l'on pouvait appeler de ce nom un gouvernement qui demandait la protection d'un de ses citoyens.

Je crois que ce qui perdit surtout Pompée, fut la honte qu'il eut de penser qu'en élevant César comme il avait fait, il eût manqué de prévoyance. Il s'accoutuma le plus tard qu'il put à cette idée : il ne se mettait point en défense, pour ne point ayouer qu'il se fût mis en danger : il soutenait au sénat que César n'oserait faire la guerre; et, parce qu'il l'avait dit tant de fois, il le redisait toujours.

Il semble qu'une chose avait mis César en état de tout entreprendre ; c'est que, par une malheureuse conformité de noms, on avait joint à son gouvernement de la Gaule cisalpine celui de la Gaule d'au-delà les Alpes.

La politique n'avait point permis qu'il y eût des armées auprès de Rome; mais elle n'avait pas souffert non plus que I'Italie fût entièrement dégarnie de troupes : cela fit qu'on tint des forces considérables dans la Gaule cisalpine, c'est-à-dire, dans le pays qui est depuis le Rubicon, petit fleuve de la Romagne, jusqu'aux Alpes. Mais, pour assurer la ville de Rome contre ses troupes, on fit le célèbre ́sénatus-consulte que l'on voit encore gravé sur le chemin de Rimini à Césène, par lequel on dévouait aux dieux infernaux, et l'on déclarait sacrilége et parricide quiconque, avec une légion, avec une armée, ou avec une cohorte, passerait le Rubicon.

fit

que

A un gouvernement si important, qui tenait la ville en échec, on en joignit un autre plus considérable encore; c'était celui de la Gaule transalpine, qui comprenait les pays du midi de la France, qui, ayant donné à César l'occasion de faire la guerre pendant plusieurs années à tous les peuples qu'il voulut, ses soldats vieillirent avec lui, et qu'il ne les conquit pas moins que les barbares. Si César n'avait point eu le gouvernement de la Gaule transalpine, il n'aurait point corrompu ses soldats, ni fait respecter son nom par tant de victoires. S'il n'avait eu celui de la Gaule cisalpine, Pompée aurait pu l'arrêter au des Alpes passage : au lieu que, dès le commencement de la guerre, il fut obligé d'abandonner l'Italie; ce qui fit perdre à son parti la réputation, qui, dans les guerres civiles, est la puissance même.

pas

La même frayeur qu'Annibal porta dans Rome après la bataille de Cannes, César l'y répandit lorsqu'il passa le Rubicon. Pompée éperdu ne vit, dans les premiers momens de la guerre, de parti à prendre que celui qui reste dans les affaires désespérées ; il ne sut que céder et que fuir; il sortit de Rome , y laissa le trésor public; il ne put nulle part retarder le vainqueur; il abandonna une partie de ses troupes, toute l'Italie, passa la mer.

et

:

On parle beaucoup de la fortune de César mais cet homme extraordinaire avait tant de grandes qualités sans pas un défaut, quoiqu'il eût bien des vices, qu'il eût été bien difficile que, quelque armée qu'il eût commandée, il n'eût été vainqueur, et qu'en quelque république qu'il fût né, il ne l'eût gouvernée.

César, après avoir défait les lieutenans de Pompée en Espagne, alla en Grèce le chercher lui-même. Pompée, qui avait la côte de la mer et des forces supérieures, était sur le point de voir l'armée de César détruite par la misère et la faim: mais, comme il avait souverainement le faible de vouloir être approuvé, il ne pouvait s'empêcher de prêter l'oreille aux vains discours de ses gens, qui le raillaient ou l'accusaient sans cesse (1). Il veut, disait l'un, se perpétuer dans le commandement, et être, comme Agamemnon, le roi des rois. Je vous avertis, disait un autre, que nous ne mangerons pas encore cette année des figues de Tusculum. Quelques succès particuliers qu'il eut achevèrent de tourner la tête à cette troupe sénatoriale. Ainsi, pour n'être pas blâmé, il fit une chose que la postérité blâmera toujours, de sacrifier tant d'avantages, pour aller, avec des troupes nouvelles, combattre une armée qui avait vaincu tant de fois.

Lorsque les restes de Pharsale se furent retirés en Afrique, Scipion, qui les commandait, ne voulut jamais suivre l'avis de Caton, de traîner la guerre en longueur : enflé de quelques avantages, il risqua tout, et perdit tout; et lorsque Brutus et Cassius rétablirent ce parti, la même précipitation perdit la république une troisième fois (2).

Vous remarquerez que, dans ces guerres civiles qui durèrent si long-temps, la puissance de Rome s'accrut sans cesse au dehors. Sous Marius, Sylla, Pompée, César, Antoine, Auguste, Rome, toujours plus terrible, acheva de détruire tous les rois qui restaient encore.

Il n'y a point d'état qui menace si fort les autres d'une con

(1) Voyez Plutarque, Vie de Pompée. (2) Cela est bien expliqué dans Appien, de la Guerre civile, liv. IV, chap. cv et suiv. L'armée d'Octave et d'Antoine aurait péri de faim, si l'on n'avait pas donné la bataille.

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quête, que celui qui est dans les horreurs de la guerre civile. Tout le monde, noble, bourgeois, artisan, laboureur, y devient soldat: et, lorsque par la paix les forces y sont réunies, , cet état a de grands avantages sur les autres, qui n'ont guère que des citoyens. D'ailleurs, dans les guerres civiles, il se forme souvent de grands hommes; parce que, dans la confusion, ceux qui ont du mérite se font jour, chacun se place et se met à son rang; au lieu que, dans les autres temps, on est placé, et on l'est presque toujours tout de travers. Et, pour passer de l'exemple des Romains à d'autres plus récens, les Français n'ont jamais été si redoutables au dehors qu'après les querelles des maisons de Bourgogne et d'Orléans, après les troubles de la Ligue, après les guerres civiles de la minorité, de Louis XIII et de celle de Louis XIV: l'Angleterre n'a jamais été si respectée que sous Cromwel, après les guerres du long parlement : les Allemands n'ont pris la supériorité sur les Turcs qu'après les guerres civiles d'Allemagne : les Espagnols, sous Philippe V, d'abord après les guerres civiles pour la succession, ont montré en Sicile une force qui a étonné l'Europe et nous voyons aujourd'hui la Perse renaître des cendres de la guerre civile et humilier les Turcs.

Enfin la république fut opprimée : et il n'en faut pas accuser l'ambition des particuliers; il faut en accuser l'homme, toujours plus avide du pouvoir à mesure qu'il en a davantage, et qui ne déşire tout que parce qu'il possède beaucoup.

Si César et Pompée avaient pensé comme Caton, d'autres auraient pensé comme firent César et Pompée; et la république, destinée à périr, aurait été entraînée au précipice par une autre

main.

César pardonna à tout le monde : mais il me semble que la modération que l'on montre après qu'on a tout usurpé ne mérite pas de grandes louanges.

Quoi que l'on ait dit de sa diligence après Pharsale, Cicéron l'accuse de lenteur avec raison. Il dit à Cassius qu'ils n'auraient jamais cru que le parti de Pompée se fût ainsi relevé en Espagne et en Afrique ; et que, s'ils avaient pu prévoir que César se fût amusé à sa guerre d'Alexandrie, ils n'auraient pas fait leur paix, et qu'ils se seraient retirés avec Scipion et Caton en Afrique (1). Ainsi un fol amour lui fit essuyer quatre guerres; et, en ne prévenant pas les deux dernières, il remit en question ce qui avait été décidé à Pharsale.

César gouverna d'abord sous des titres de magistrature; car les hommes ne sont guère touchés que des noms. Et comme les peuples d'Asie abhorraient ceux de consul et de proconsul, les (1) Lettres familières, liv. XV, lett. 15.

peuples d'Europe détestaient celui de roi ; de sorte que, dans ces temps-là, ces noms faisaient le bonheur ou le désespoir de toute la terre. César ne laissa pas de tenter de se faire mettre le diadème sur la tête : mais, voyant que le peuple cessait ses acclamations, il le rejeta. Il fit encore d'autres tentatives (1) : et je ne puis comprendre qu'il pût croire que les Romains, pour le souffrir tyran, aimassent pour cela la tyrannie, ou crussent avoir fait ce qu'ils avaient fait.

Un jour que le sénat lui déférait de certains honneurs, il négligea de se leyer; et pour lors les plus graves de ce corps achevèrent de perdre patience.

On n'offense jamais plus les hommes que lorsqu'on choque leurs cérémonies et leurs usages. Cherchez à les opprimer, c'est quelquefois une preuve de l'estime que vous en faites; choquez leurs coutumes, c'est toujours une marque de mépris.

César, de tout temps ennemi du sénat, ne put cacher le mépris qu'il conçut pour ce corps, qui était devenu presque ridicule depuis qu'il n'avait plus de puissance : par-là sa clémence même fut insultante. On regarda qu'il ne pardonnait pas, mais qu'il dédaignait de punir.

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Il porta le mépris jusqu'à faire lui-même les sénatus-consultes; ils les souscrivait du nom des premiers sénateurs qui lui venaient dans l'esprit. « J'apprends quelquefois, dit Cicéron (2), qu'un » sénatus-consulte, passé à mon avis, a été porté en Syrie et en » Arménie avant que j'aie su qu'il ait été fait; et plusieurs princes m'ont écrit des lettres de remercîmens sur ce que j'avais été d'avis qu'on leur donnât le titre de rois, que non-seulement je ne savais pas être rois, mais même qu'ils fussent au monde. » On peut voir, dans les lettres de quelques grands hommes de ce temps-là (3), qu'on a mises sous le nom de Cicéron, parce que la plupart sont de lui, l'abattement et le désespoir des premiers hommes de la république à cette révolution subite, qui les priva de leurs honneurs et de leurs occupations même, lorsque, le sénat étant sans fonction, ce crédit qu'ils avaient eu par toute la terre, ils ne purent plus l'espérer que dans le cabinet d'un seul; et cela se voit bien mieux dans ces lettres que dans les discours des historiens. Elles sont le chef-d'œuvre de la naïveté de gens unis par une douleur commune, et d'un siècle où la fausse politesse n'avait pas mis le mensonge partout: enfin on n'y voit point, comme dans la plupart de nos lettres modernes, des gens qui veulent se tromper, mais des amis malheureux qui cherchent à se tout dire.

(1) Il cassa les tribuns du peuple. - (2) Lettres familières, liv. IX, lett. 15. ·(3) Voyez les lettres de Cicéron et de Servius Sulpicius.

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