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Il était bien difficile que César pût défendre sa vie : la plupart des conjurés (1) étaient de son parti, ou avaient été par lui comblés de bienfaits; et la raison en est bien naturelle. Ils avaient trouvé de grands avantages dans sa victoire; mais plus leur fortune devenait meilleure, plus ils commençaient à avoir part au malheur commun (2): car à un homme qui n'a rien, il importe assez peu, à certains égards, en quel gouvernement il vive.

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De plus, il y avait un certain droit des gens, une opinion établie dans toutes les républiques de Grèce et d'Italie, qui faisait regarder comme un homme vertueux l'assassin de celui qui avait usurpé la souveraine puissance. A Rome, surtout depuis l'expulsion des rois, la loi était précise, les exemples reçus ; la république armait le bras de chaque citoyen, le faisait magistrat pour le moment, et l'avouait pour sa défense.

Brutus (3) ose bien dire à ses amis que, quand son père reviendrait sur la terre, il le tuerait tout de même : et quoique, par la continuation de la tyrannie, cet esprit de liberté se perdît peu à peu, les conjurations, au commencement du règne d'Auguste, renaissaient toujours.

C'était un amour dominant pour la patrie, qui, sortant des règles ordinaires des crimes et des vertus, n'écoutait que lui seul, et ne voyait ni citoyen, ni ami, ni bienfaiteur, ni père : la vertu semblait s'oublier pour se surpasser elle-même; et l'action, qu'on ne pouvait d'abord approuver, parce qu'elle était atroce, elle la faisait admirer comme divine.

En effet, le crime de César, qui vivait dans un gouvernement libre, n'était-il pas hors d'état d'être puni autrement que par un assassinat? Et demander pourquoi on ne l'avait pas poursuivi par la force ouverte, ou par les lois, n'était-ce pas demander raison de ses crimes?

CHAPITRE XII.

De l'état de Rome après la mort de César.

Il était tellement impossible que la république pût se rétablir, qu'il arriva, ce qu'on n'avait jamais encore vu, qu'il n'y eut plus de tyran, et qu'il n'y eut pas de liberté; car les causes qui l'avaient détruite subsistaient toujours.

Les conjurés n'avaient formé de plan que pour la conjuration, et n'en avaient point fait pour la soutenir.

(1) Décimus Brutus, Caïus Casca, Trébonius, Tullius Cimber, Minutius Basillus, étaient amis de César. (Appian. de Bello civili, lib. II, cap. cx.). - (2) Je ne parle pas des satellites d'un tyran, qui seraient pérdus après lui, mais de ses compagnons dans un gouvernement libre. - (3) Lettres de Brutus, dans le recueil de celles de Cicéron, lett. 16.

Après l'action faite, ils se retirèrent au Capitole : le sénat ne s'assembla pas; et le lendemain Lépidus, qui cherchait le trouble, se saisit avec des gens armés de la place romaine.

Les soldats vétérans, qui craignaient qu'on ne répétât les dons immenses qu'ils avaient reçus, entrèrent dans Rome : cela fit que le sénat approuva tous les actes de César, et que, conciliant les extrêmes, il accorda une amnistie aux conjurés; ce qui produisit une fausse paix.

César, avant sa mort, se préparant à son expédition contre les Parthes, avait nommé des magistrats pour plusieurs années, afin qu'il eût des gens à lui qui maintinssent dans son absence la tranquillité de son gouvernement: ainsi, après sa mort, ceux de son parti se sentirent des ressources pour long-temps.

Comme le sénat avait approuvé tous les actes de César sans restriction, et que l'exécution en fut donnée aux consuls, Antoine, qui l'était, se saisit du livre des raisons de César, gagna son secrétaire, et y fit écrire tout ce qu'il voulut: de manière que le dictateur régnait plus impérieusement que pendant sa vie; car ce qu'il n'aurait jamais fait, Antoine le faisait; l'argent qu'il n'aurait jamais donné, Antoine le donnait; et tout homme qui avait de mauvaises intentions contre la république, trouvait soudain une récompense dans les livres de César.

Par un nouveau malheur, César avait amasse pour son expédition des sommes immenses, qu'il avait mises dans le temple d'Ops: Antoine, avec son livre, en disposa à sa fantaisie.

Les conjurés avaient d'abord résolu de jeter le corps de César dans le Tibre (1): ils n'y auraient trouvé nul obstacle; car, dans ces momens d'étonnement qui suivent une action inopinée, il est facile de faire tout ce qu'on peut oser. Cela ne fut point exécuté, et voici ce qui en arriva.

Le sénat se crut obligé de permettre qu'on fit les obsèques de César: et effectivement, dès qu'il ne l'avait pas déclaré tyran, il ne pouvait lui refuser la sépulture. Or c'était une coutume des Romains, si vantée par Polybe, de porter dans les funérailles les images des ancêtres, et de faire ensuite l'oraison funèbre du défunt. Antoine, qui la fit, montra au peuple la robe ensanglantée de César, lui lut son testament, où il lui faisait de grandes largesses, et l'agita au point qu'il mit le feu aux maisons des conjurés. Nous avons un aveu de Cicéron, qui gouverna le sénat dans toute cette affaire (2), qu'il aurait mieux valu agir avec vigueur

(1) Cela n'aurait pas été sans exemple: après que Tibérius Gracchus eut été tué, Lucrétius, édile, qui fut depuis appelé Vespillo, jeta son corps dans le Tibre. (Aurélius Victor, de Viris illustr.) — (2) Lettres à Atticus, liv. XIV, lettre 10.

et s'exposer à périr; et que même on n'aurait point péri : mais il se disculpe sur ce que, quand le sénat fut assemblé, il n'était plus temps. Et ceux qui savent le prix d'un moment dans les affaires où le peuple a tant de part n'en seront pas étonnés.

Voici un autre accident : pendant qu'on faisait des jeux en l'honneur de César, une comète à longue chevelure parut pendant sept jours; le peuple crut que son âme avait été reçue dans

le ciel.

C'était bien une coutume des peuples de Grèce et d'Asie de bâtir des temples aux rois, et même aux proconsuls qui les avaient gouvernés (1); on leur laissait faire ces choses, comme le témoignage le plus fort qu'ils pussent donner de leur servitude : les Romains même pouvaient, dans des laraires, ou des temples particuliers, rendre des honneurs divins à leurs ancêtres. Mais je ne vois pas que, depuis Romulus jusqu'à César, aucun Romain ait été mis au nombre des divinités publiques (2).

Le gouvernement de la Macédoine était échu à Antoine; il youlut, au lieu de celui-là, avoir celui des Gaules: on voit bien par quel motif. Décimus Brutus, qui avait la Gaule cisalpine, ayant refusé de la lui remettre, il voulut l'en chasser ; cela ; produisit une guerre civile, dans laquelle le sénat déclara Antoine ennemi de la patrie.

Cicéron pour perdre Antoine, son ennemi particulier, avait pris le mauvais parti de travailler à l'élévation d'Octave; et, au lieu de chercher à faire oublier César au peuple, il le lui avait remis devant les yeux.

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Octave se conduisit avec Cicéron en homme habile; il le flatta le loua, le consulta, et employa tous les artifices dont la vanité ne se défie jamais.

Ce qui gâte presque toutes les affaires, c'est qu'ordinairement ceux qui les entreprennent, outre la réussite principale, cherchent encore de certains petits succès particuliers, qui flattent leur amour-propre et les rendent contens d'eux.

Je crois que, si Caton s'était réservé pour la république, il aurait donné aux choses tout un autre tour. Cicéron, avec des parties admirables pour un second rôle, était incapable du premier : il avait un beau génie, mais une âme souvent commune. L'accessoire chez Cicéron, c'était la vertu ; chez Caton, c'était la gloire (3). Cicéron se voyait toujours le premier; Caton s'ou

(1) Voyez là-dessus les Lettres de Cicéron à Atticus, liv. V, et la remarque de M. l'abbé de Mongault. (2) Dion dit que les triumvirs, qui espéraient tous d'avoir quelque jour la place de César, firent tout ce qu'ils purent pour augmenter les honneurs qu'on lui rendait. (Liv. XLVII.) (3) Esse quàm videri bonus 'malebat : itaque quò minùs gloriam petebat, cò magis illam assequebatur. (Salluste, de Bello Catil., cap. LIV. )

bliait toujours. Celui-ci voulait sauver la république pour ellemême, celui-là pour s'en vanter.

Je pourrais continuer le parallèle, en disant que, quand Caton prévoyait, Cicéron craignait; que là où Caton espérait, Cicéron se confiait; que le premier voyait toujours les choses de sangfroid, l'autre au travers de cent petites passions.

Antoine fut défait à Modène : les deux consuls Hirtius et Pansa y périrent. Le sénat, qui se crut au-dessus de ses affaires, songea à abaisser Octave, qui, de son côté, cessa d'agir contre Antoine, mena son armée à Rome, et se fit déclarer consul.

Voilà comment Cicéron, qui se vantait que sa robe avait détruit les armées d'Antoine, donna à la république un ennemi plus dangereux, parce que son nom était plus cher, et ses droits en apparence plus légitimes (1).

Antoine, défait, s'était réfugié dans la Gaule transalpine, où il avait été reçu par Lépidus. Ces deux hommes s'unirent avec Octave, et ils se donnèrent l'un à l'autre la vie de leurs amis et de leurs ennemis (2). Lépide resta à Rome : les deux autres allèrent chercher Brutus et Cassius, et ils les trouvèrent dans ces lieux où l'on combattit trois fois pour l'empire du monde.

Brutus et Cassius se tuèrent avec une précipitation qui n'est pas excusable; et l'on ne peut lire cet endroit de leur vie sans avoir pitié de la république, qui fut ainsi abandonnée. Caton s'était donné la mort à la fin de la tragédie; ceux-ci la commencèrent en quelque façon par leur mort.

On peut donner plusieurs causes de cette coutume si générale des Romains de se donner la mort : le progrès de la secte stoïque, qui y encourageait; l'établissement des triomphes et de l'esclavage, qui firent penser à plusieurs grands hommes qu'il ne fallait pas survivre à une défaite ; l'avantage que les accusés avaient de se donner la mort plutôt que de subir un jugement par lequel leur mémoire devait être flétrie et leurs biens confisqués (3); une espèce de point d'honneur, peut-être plus raisonnable que celui qui nous porte aujourd'hui à égorger notre ami pour un geste ou pour une parole; enfin une grande commodité pour l'héroïsme, chacun faisant finir la pièce qu'il jouait dans le monde à l'endroit où il voulait (4).

On pourrait ajouter une grande facilité dans l'exécution : (1) Il était héritier de César, et son fils par adoption. (2) Lear cruauté fut si insensée, qu'ils ordonnèrent que chacun eût à se réjouir des proscriptions, sous peine de la vie. (Voyez Dion.) (3) Eorum qui de se statuebant humabantur corpora ; manebant testamenta, pretium festinandi. (Tacite, Annales, liv. VI, chap. xxIx.) - (4) Si Charles I, si Jacques II avaient vécu dans une religion qui leur eût permis de se tuer, ils n'auraient pas eu à soutenir, l'un une telle mort, l'autre une telle vie,

l'âme, tout occupée de l'action qu'elle va faire, du motif qui la détermine, du péril qu'elle va éviter, ne voit point proprement la mort, parce que la passion fait sentir et jamais voir.

L'amour-propre, l'amour de notre conservation, se transforme en tant de manières et agit par des principes si contraires, qu'il nous porte à sacrifier notre être pour l'amour de notre être ; et tel est le cas que nous faisons de nous-mêmes, que nous consentons à cesser de vivre, par un instinct naturel et obscur qui fait que nous nous aimons plus que notre vie même.

Il est certain que les hommes sont devenus moins libres, moins courageux, moins portés aux grandes entreprises qu'ils n'étaient lorsque, par cette puissance qu'on prenait sur soi-même, on pouvait, à tous les instans, échapper à toute autre puissance.

CHAPITRE XIII.

AUGUSTE.

SEXTUS POMPÉE tenait la Sicile et la Sardaigne; il était maître de la mer, et il avait avec lui une infinité de fugitifs et de proscrits qui combattaient pour leurs dernières espérances. Octave lui fit deux guerres très-laborieuses; et, après bien des mauvais succès, il le vainquit par l'habileté d'Agrippa.

Les conjurés avaient presque tous fini malheureusement leur vie (1); et il était bien naturel que des gens qui étaient à la tête d'un parti abattu tant de fois, dans des guerres où l'on ne se faisait aucun quartier, eussent péri de mort violente. De là cependant on tira la conséquence d'une vengeance céleste qui punissait les meurtriers de César et qui proscrivait leur cause.

Octave gagna les soldats de Lépide, et le dépouilla de la puissance du triumvirat: il lui envia même la consolation de mener une vie obscure, et le força de se trouver, comme homme privé, dans les assemblées du peuple.

On est bien aise de voir l'humiliation de ce Lépide. C'était le plus méchant citoyen qui fût dans la république, toujours le premier à commencer les troubles, formant sans cesse des projets funestes où il était obligé d'associer de plus habiles gens que lui. Un auteur moderne s'est plu à en faire l'éloge (2), et cite Antoine, qui, dans une de ses lettres, lui donne la qualité d'honnête homme: mais un honnête homme pour Antoine ne devait guère l'être pour les autres.

(1) De nos jours, presque tous ceux qui jugèrent Charles premier eurent une fin tragique. C'est qu'il n'est guère possible de faire des actions pareilles sans avoir de tous côtés de mortels ennemis, et par conséquent sans courir une infinité de périls. (2) L'abbé de Saint-Réal.

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