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être tendue il parle à la fois à l'ame, à l'imagination et à l'esprit: on pourrait juger des lecteurs de Tacite par le mérite qu'ils lui trouvent, parce que sa pensée est d'une telle étendue, que chacun y pénètre plus ou moins, selon le degré de ses forces en général, il creuse à une profondeur immense, et creuse sans effort. Il a l'air bien moins travaillé que Salluste, quoiqu'il soit sans comparaison plus plein et plus fini, Le secret de son style, qu'on n'égalera jamais, tient non seulement à son génie, mais encore aux circonstances où il s'est trouvé. Cet homme vertueux, dont les premiers regards, au sortir de l'enfance, se fixèrent sur les horreurs de la cour de Néron, qui vit ensuite les ignominies de Galba, la crapule de Vitellius et les brigandages d'Othon, qui respira un air plus pur sous Vespasien et sous Titus, fut obligé, dans sa maturité, de supporter en silence le règne abominable de Domitien. Obscur par sa naissance, élevé à la questure par Titus, et se voyant dans la route des honneurs, il craignit, par égard pour sa famille, d'arrêter les progrès d'une illustration dont il était le premier auteur, et dont elle devait recueillir les avantages; il fut contraint de plier la hauteur de son

ame et la sévérité de ses principes, non pas jusqu'aux bassesses d'un courtisan, mais du moins aux complaisances, aux assiduités d'un sujet qui espère, et qui ne doit rien condamner sous peine de ne rien obtenir. Incapable de mériter l'amitié d'un tyran, il fallut ne pas mériter sa haine, étouffer une partie des talens et du mérite d'un sujet pour ne pas effaroucher la tyrannie, faire taire à tout moment son cœur indigné, ne pleurer qu'en secret les blessures de la patrie et

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sang des bons citoyens, et s'abstenir même de cet extérieur de tristesse, qu'une longue contrainte répand sur le visage d'un honnête homme, et qui est toujours suspect au mauvais prince, qui sait que dans sa cour il ne doit y avoir de triste que la vertu.

Dans cette douloureuse oppression, Tacite, obligé de se replier sur lui-même, jeta sur le papier tout cet amas de plaintes et ce poids d'indignation dont il ne pouvait autrement se soulager. Voilà ce qui rend son style si intéressant et si animé. Il n'invective point en déclamateur, un homme profondément affecté ne peut pas l'être; mais il peint avec des couleurs si vraies tout ce que la bassesse et l'esclavage ont de plus dégoûtant, tout ce que le despotisme et la cruauté

ont de plus horrible, les espérances et les succès du crime, la pâleur de l'innocence et l'abattement de la vertu; il peint tellement tout ce qu'il a vu et souffert, que l'on voit et que l'on souffre avec lui: chaque ligne porte un sentiment dans l'ame. Il demande pardon au lecteur des horreurs dont il l'entretient; et ces horreurs même attachent tellement, qu'on serait fâché qu'il ne les eût pas tracées. Les tyrans nous semblent punis quand il les peint. Il représente la postérité dans tout ce qu'elle a d'auguste et d'imposant; et je ne connais point de lecture plus terrible pour la conscience d'un mauvais roi.

On a dit qu'il voyait par-tout le mal et qu'il calomniait la nature humaine. Il ne pouvait au moins calomnier les temps où il a vécu. Et peut-on dire que celui qui nous a tracé les derniers momens de Germanicus, de Baréa, de Thraséas; enfin, que le panégyriste d'Agricola ne voyait pas la vertu où elle était? Ce dernier morceau, cette vie d'Agricola est le désespoir des biographes; c'est le chef-d'oeuvre de Tacite, qui n'a fait que des chefs-d'oeuvres. Il l'écrivit dans un temps de calme et de bonheur. Le règne de Nerva qui le fit consul, et ensuite celui de

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Trajan, le consolaient d'avoir été préteur sous Domitien. Son style a des teintes plus douces et un charme plus attendrissant; il semble qu'il commence à pardonner. C'est là qu'il donne cette leçon si belle et si utile : L'exemple d'Agricola, dit-il, nous apprend « qu'on peut être grand sous un méchant prince, et que la soumission modeste, jointe aux talens et à la fermeté, peut don«<ner une autre gloire que celle où sont par« venus des hommes plus impétueux qui « n'ont cherché qu'une mort illustre et inu«<tile à la patrie. »

Tacite épousa la fille de cet Agricola dont il a écrit la vie, et qui fut un des plus grands hommes de son temps. Il fut étroitement lié avec Pline le Jeune, et plusieurs lettres charmantes de cet ingénieux écrivain sont des témoignages de leur amitié et de son admiration pour Tacite. Il n'y a pas bien long-temps que son mérite supérieur commence à être senti. Des rhéteurs outrés dans leurs principes, des pédans qui ne connaissaient point d'autre manière d'écrire que celle de Cicéron, nous avaient accoutumés dans le siècle passé à regarder Tacite comme un écrivain du second ordre, comme un auteur obscur et affecté. C'est à de pareilles

gens qu'il faut citer Juste Lipse, que, d'ailleurs, je n'aurais pas choisi pour garant. Voici ce qu'il dit en assez mauvais style, mais fort sensément : «Chaque page, chaque

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ligne de Tacite est un trait de sagesse, un « conseil, un axiome mais il est si rapide «<et si concis, qu'il faut bien de la sagacité « pour le suivre et pour l'entendre. Tous les «< chiens ne sentent par le gibier, et tous <<< les lecteurs ne sentent pas Tacite. »

J'ai déjà dit un mot de Quinte Curce. On ne s'accorde pas sur le temps où il vivait les uns le placent sous Auguste, d'autres sous Vespasien, d'autres sous Trajan. Freinshemius a suppléé les deux premiers livres de son ouvrage et une partie du dernier. Le style de Quinte Curce est très-orné. Il excelle dans les descriptions de batailles. Sa fameuse harangue des Scythes est un chefd'œuvre. On le soupçonne de s'être permis dans l'histoire de son héros beaucoup d'embellissemens romanesques: cette accusation ne paraît pas fondée. Il ne dissimule aucune des mauvaises qualités et des fautes d'Alexandre; et, quant à la vérité des faits, si l'on consulte une dissertation de Tite-Live sur le succès qu'aurait eu ce conquérant, s'il eût porté ses armes en Italie, on verra que

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