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Dès qu'il se fut levé, et que le regard des spectateurs put mesurer sur le sable l'ombre que projetait sa taille colossale, un murmure d'étonnement circula dans toute l'assemblée, et plus d'une femme le montrait du doigt avec une sorte d'orgueil, le nommait par son nom et racontait tous ses exploits du cirque et ses violences dans les séditions.

Le peuple était content; tigre et gladiateur, il jugeait les deux adversaires dignes l'un de l'autre. Pendant ce temps le gladiateur s'avançait lentement dans l'arène, se tournant parfois du côté de la loge impériale, et laissant alors tomber ses bras avec une sorte d'abattement, ou creusant du bout de sa lance la terre qu'il allait bientôt ensanglanter.

Comme il était d'usage que les criminels ne fussent pas armés, quelques voix crièrent: "Point d'armes au bestiaire! le bestiaire sans armes !" Mais lui, brandissant le tronçon qu'il avait gardé, et le montrant à cette multitude: "Venez le prendre," disait-il, mais d'une bouche contractée, avec des lèvres pâles et une voix rauque, presque étouffée par la colère. Les cris ayant redoublé cependant, il leva la tête, fit du regard le tour de l'assemblée, lui sourit dédaigneusement, et brisant de nouveau entre ses mains l'arme qu'on lui demandait, il en jeta les débris à la tête du tigre, qui aiguisait en ce moment ses dents contre le socle d'une colonne.

Ce fut là son défi.

L'animal, se sentant frappé, détourna la tête, et voyant son adversaire debout au milieu de l'arène, d'un bond il s'élança sur lui; mais le gladiateur l'évita en se baissant jusqu'à terre, et le tigre alla tomber en rugissant à quelques pas. Le gladiateur se releva, et trois fois il trompa par la même manœuvre la fureur de son sauvage ennemi; enfin le tigre vint à lui à pas comptés, les yeux étincelants, la queue droite, la langue déjà sanglante, montrant les dents et allongeant le museau; mais cette fois ce fut le gladiateur qui, au moment où il allait le saisir, le franchit d'un saut, aux applaudissements de la foule, que l'émotion de cette lutte maîtrisait déjà tout entière.

Enfin, après avoir longtemps fatigué son ennemi furieux, plus excédé des encouragements que la foule semblait lui donner que des lenteurs d'un combat qui avait semblé d'abord si inégal, le gladiateur l'attendit de pied ferme; et le tigre, tout haletant, courut à lui avec un rugissement de joie. Un cri d'horreur, ou

peut-être de joie, partit en même temps de tous les gradins quand l'animal, se dressant sur ses pattes, posa ses griffes sur les épaules nues du gladiateur, et avança sa tête pour le dévorer; mais celui-ci jeta sa tête en arrière, et, saisissant de ses deux bras raidis le cou soyeux de l'animal, il se serra avec une telle force, que, sans lâcher prise, le tigre redressa son museau et le leva violemment pour faire arriver un peu d'air jusqu'à ses poumons, dont les mains du gladiateur lui fermaient le passage comme deux tenailles de forgeron.

Le gladiateur cependant, sentant ses forces faiblir et s'en aller avec son sang, sous les griffes tenaces, redoublait d'effort pour en finir au plus tôt; car la lutte, en se prolongeant, devait tourner contre lui. Se dressant donc sur ses deux pieds, et se laissant tomber de tout son poids sur son ennemi, dont les jambes ployèrent sous le fardeau, il brisa ses côtes, et fit rendre à sa poitrine écrasée un son qui s'échappa de sa gorge longtemps étreinte avec des flots de sang et d'écume. Se relevant alors tout-à-coup à moitié, et dégageant ses épaules dont un lambeau demeura attaché à l'une des griffes sanglantes, il posa un genou sur le flanc pantelant de l'animal, et le pressant avec une force que sa victoire avait doublée, il le sentit se débattre un moment sous lui; et, le comprimant toujours, il vit ses muscles se raidir, et sa tête, un moment redressée, retomber sur le sable, la gueule entr'ouverte et souillée d'écume, les dents serrées et les yeux éteints.

Une acclamation générale s'éleva aussitôt, et le gladiateur dont le triomphe avait ranimé les forces, se redressa sur ses pieds, et, saisissant le monstrueux cadavre, le jeta de loin, comme un hommage, sous la loge impériale. Alexandre Guiraud.

38. Chasse au Lion en Afrique.

Sur des renseignements qui me furent donnés contre un grand vieux lion qui coûtait cher à ses voisins dans les environs du camp de Dréan, je fis venir mes armes de Ghelma et quittai Bône le 26 Février.

Le 27, à cinq heures du soir, j'arrivai à un douar de OuledBou-Azizi, situé à une demi-lieue du repaire de ma bête, qui, au

dire des vieillards, avait élu domicile dans le Jebel-Krounega depuis plus de trente ans.

J'appris en arrivant que tous les soirs au coucher du soleil le lion rugissait en quittant son repaire, et qu'à la nuit il descendait dans la plaine, toujours rugissant. La rencontre me parut presque infaillible; aussi m'empressai-je de charger les deux fusils que j'avais. A peine avais-je terminé cette opération, que j'entendis le lion rugissant dans la montagne.

Mon hôte s'offrit de m'accompagner jusqu'au gué que le lion devait franchir en quittant la montagne; je lui donnai mon second fusil, et nous partîmes.

Il faisait noir à ne pas se voir à deux pas. Après avoir marché pendant un quart d'heure environ à travers bois, nous arrivâmes sur le bord d'un ruisseau qui coule au pied du JebelKrounega.

Mon guide, très-ému par les rugissements qui se rapprochaient, me dit, “Le gué est là.”

Je cherchai à reconnaître la position: tout autour de moi était noir; je ne voyais même pas mon Arabe, qui me touchait.

Ne pouvant rien distinguer par les yeux, je me mis à descendre jusqu'au ruisseau, pour rencontrer, en tâtant avec la main, quelque voie de cheval ou de troupeau. C'était bien un gué très-encaissé et dont les abords étaient difficiles. Ayant trouvé une pierre qui pouvait me servir de siége, tout-à-fait au bord du ruisseau et un peu en dehors du gué, je renvoyai mon guide, qui ne demandait pas mieux. Pendant que je cherchais à prendre connaissance du terrain, il ne cessait de me dire:

"Rentrons au douar, la nuit est trop noire; nous chercherons le lion demain pendant le jour."

N'osant se rendre au douar tout seul, il se blottit dans un massif de lentisques, à une cinquantaine de pas de moi.

Après lui avoir ordonné de ne pas bouger, quoiqu'il pût entendre, je pris position sur ma pierre. Le lion rugissait toujours et se rapprochait doucement. Ayant tenu mes yeux fermés pendant quelques minutes, je finis par voir, en les ouvrant, qu'à mes pieds était un talus vertical créé sans doute par un débordement du ruisseau qui coulait à plusieurs mètres plus bas; à ma gauche, et au bout du canon de mon fusil, se trouvait le gué: mon plan fut aussitôt arrêté. S'il m'était possible de voir le lion dans le lit du ruisseau, je devais le tirer là, le talus

me pouvant sauver si j'étais assez heureux pour le blesser grièvement. Il pouvait être neuf heures, quand un rugissement se fit entendre à cent mètres au-delà du ruisseau.

J'armai mon fusil, et, le coude sur le genou, la crosse à l'épaule, les yeux fixés sur l'eau, que je distinguais par moments, j'attendis. Le temps commençait à me paraître long, quand, de la rive opposée du ruisseau et juste en face de moi, s'échappa un soupir long, guttural, qui avait quelque chose du râle d'un homme à l'agonie.

Je levai mes yeux dans la direction de ce son étrange, et j'aperçus, braqués sur moi comme deux charbons ardents, les yeux du lion. La fixité de ce regard, qui jetait une clarté, n'éclairant rien autour de lui, pas même la tête à laquelle il était attaché, fit refluer vers mon cœur tout ce que j'avais de sang dans les veines.

Une minute avant je grelottais de froid, maintenant la sueur ruisselait sur mon front..

Je venais de tirer mon poignard du fourreau et de le planter dans la terre à portée de la main, quand les yeux du lion commencèrent à descendre vers le ruisseau.

Je fis mentalement mes adieux et la promesse de bien mourir à ceux qui me sont chers, et lorsque mon doigt chercha doucement la détente, j'étais moins ému que le lion qui allait se mettre à l'eau. J'entendis son premier pas dans le ruisseau, qui courait rapide et bruyant, puis . . . . plus rien. S'était-il arrêté ? Marchait-il vers moi? Voilà ce que je me demandais en cherchant à percer le voile noir qui enveloppait tout autour de moi, lorsqu'il me sembla entendre, là, tout près, à ma gauche, le bruit de son pas dans la boue.

Il était en effet sorti du ruisseau et montait doucement la rampe du gué, lorsque le mouvement que je venais de faire le fit s'y arrêter.

Il était à quatre ou cinq pas de moi et pouvait arriver d'un bond. Il est inutile de chercher le guidon lorsqu'on ne voit pas le canon de son fusil. Je tirai au juger, la tête haute et les yeux ouverts; au coup de feu je vis une masse énorme, sans forme aucune et à tous crins. Un rugissement épouvantable déchira l'air; le lion était hors de combat. Au premier cri de douleur succédaient des plaintes sourdes, menaçantes. J'entendis l'animal se débattre dans la boue, sur le bord du ruisseau, puis il

se tut. Le croyant mort, ou tout au moins hors d'état de se tirer de là, je rentrai au douar avec mon guide qui, ayant tout entendu, était persuadé que le lion était à nous.

Il va sans dire que je ne fermai pas l'œil dans la nuit. A la pointe du jour, nous arrivâmes au gué: point de lion; un os, gros comme le doigt, que nous trouvâmes au milieu du sang, que l'animal avait perdu en abondance, me fit juger qu'il avait une épaule cassée.

Une racine énorme avait été coupée par la gueule du lion contre le talus du gué à un demi-mètre de l'endroit où j'étais assis.

La douleur qu'il dut éprouver dans ce mouvement offensif qui le renvoya en arrière, causa sans doute les plaintes que j'avais entendues, et le fit renoncer à une seconde attaque. Nous suivîmes en vain ses traces par le sang; le ruisseau qu'il avait descendu nous les fit perdre ce jour-là. Le lendemain les Arabes du pays, qui avaient des griefs contre leur hôte, persuadés, du reste, qu'ils le trouveraient mort, vinrent me proposer de le chercher avec moi. Nous étions soixante-les uns à pied, les autres à cheval. Après quelques heures de recherches inutiles, je rentrai au douar et me disposais à partir, quand j'entendis plusieurs coups de feu et des hourrahs du côté de la montagne. Il n'y avait pas à en douter; c'était mon lion. Je partis au galop, et ne tardai point à me convaincre que mon espérance ne serait pas trompée cette fois. Les Arabes fuyaient dans toutes les directions en criant comme des forcenés.

Quelques-uns avaient mis le ruisseau entre le lion et eux; d'autres, plus hardis parcequ'ils étaient à cheval, l'ayant vu se traîner avec peine vers la montagne, qu'il cherchait à gagner, s'étaient réunis au nombre de dix pour l'achever (disaient-ils): le cheik les commandait.

Je venais de passer le ruisseau, et j'allais descendre de cheval, lorsque je vis les cavaliers, cheik en tête, tourner bride au galop de charge. Le lion, avec ses trois jambes, franchissait derrière eux, et mieux qu'eux, les rochers et les lentisques, et poussait des rugissements qui mirent les chevaux dans un état tel que les cavaliers n'en étaient plus les maîtres. Les chevaux couraient toujours, mais le lion s'était arrêté dans une clairière fier et menaçant. Qu'il était beau avec sa gueule béante, jetant à tous ceux qui étaient là des menaces de mort! Qu'il était beau

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