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du neveu, je l'ai rachetée avec tout ce que j'avais vaillant, et je vous la rapporte, belle-sœur : la voilà."

En parlant ainsi, il montrait à la vieille femme une grosse montre d'argent suspendue à un bout de filin goudronné. La veuve la saisit en poussant un cri, et la baisa à plusieurs reprises. Toutes les femmes pleuraient; Martin lui-même paraissait très-ému; quant à Bruno il toussait et essayait de boire pour combattre son attendrissement.

Lorsque la veuve Mauvaire put retrouver la parole elle serra dans ses bras le digne matelot, et le remercia avec chaleur. Toute sa mauvaise humeur avait disparu; elle ne pensait plus aux idées qui l'avaient préoccupée jusqu'alors; elle était tout entière à la reconnaissance du don précieux qui lui rappelait un fils si cruellement disparu.

La conversation avec Bruno devint plus libre et plus amicale. Ses explications ne permirent bientôt plus de se tromper sur sa véritable position; l'oncle d'Amérique revenait bien aussi pauvre qu'il était parti. En déclarant à son neveu que lui et les siens se repentiraient de leur froideur, il n'avait pensé qu'aux regrets qu'ils devaient éprouver, tôt ou tard, d'avoir méconnu un bon parent; toute le reste était une induction de Martin.

Bien que cette découverte détruisit définitivement les espérances de la mère et de la fille, elle ne changea rien à leurs manières. Toutes deux gagnées de cœur à l'oncle Bruno, lui conservèrent par choix la bienveillance qu'elles lui avaient d'abord témoignée par intérêt, et l'entourèrent à l'envi des prévenances les plus affectueuses.

Le matelot, pour lequel on avait épuisé toutes les réserves de l'humble ménage, venait enfin de quitter la table, lorsque Martin, sorti depuis un instant, rentra tout-à-coup, en demandant à Bruno s'il voulait vendre son singe.

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Rochambeau ?" répondit le marin; non pas, fistot. Je l'ai élevé, il m'obéit; c'est mon serviteur et mon compagnon; je ne le donnerais pas pour dix fois ce qu'il vaut. Mais qui donc veut l'acheter ?”

"C'est M. le comte," dit le jeune homme; "il vient de passer, il a vu l'animal, et en a été si content, qu'il m'a prié de faire moi-même le prix, et de le lui amener."

"Eh bien! tu lui diras qu'on le garde," répondit Bruno en bourrant sa pipe.

Martin fit un geste de contrariété.

"C'est jouer de malheur !" dit-il; "M. le comte s'était justement rappelé ses promesses; il m'avait dit de lui faire avoir le singe et qu'il prendrait avec moi ses arrangements pour cette place de receveur."

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Ah, ton sort était fait !" s'écria la veuve avec un accent affligé.

Bruno se fit expliquer l'affaire.

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Ainsi," dit-il, après un moment de réflexion, "tu espérais, en procurant Rochambeau au comte, obtenir l'emploi que tu désires ?"

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J'en étais sûr," répliqua Martin.

"Eh bien !" s'écria brusquement le marin, "je ne vends pas l'animal, mais je te le donne ! Offre-le à ton seigneur, et il faudra bien qu'il reconnaisse ta politesse."

Ce fut un concert général de remercîments, auxquels le marin ne put couper court qu'en envoyant son neveu au château avec Rochambeau. Martin fut très-bien reçu par le comte, qui causa quelque temps avec lui, s'assura qu'il pouvait remplir l'emploi demandé et le lui accorda.

On comprend la joie de la famille lorsqu'il revint avec cette nouvelle. La veuve, voulant expier ses torts, avoua alors au marin les espérances intéressées qu'avait fait naître son retour. Bruno éclata de rire.

"Par mon baptême," s'écria-t-il, “je vous ai joué un bon tour! Vous espériez des millions, et je ne vous ai apporté que deux bêtes inutiles."

"Vous vous trompez, mon oncle," dit doucement Clémence : vous m'avez apporté trois trésors sans prix; car, grâce à vous, ma mère a maintenant un souvenir, mon frère du travail, et moi-moi, j'ai l'espérance. Emile Souvestre, 1806-1854.

A

22. La Peste de Florence.

En 1348 la peste infecta toute l'Italie, à la réserve de Milan et de quelques cantons au pied des Alpes, où elle fut à peine sentie. La même année elle franchit les montagnes, et s'étendit en Provence, en Savoie, en Dauphiné, en Bourgogne, et par Aigues-Mortes pénétra en Catalogne. L'année suivante elle

comprit tout le reste de l'occident jusqu'aux rives de la mer Atlantique, la Barbarie, l'Espagne, l'Angleterre, et la France. Le Brabant seul parut épargné, et ressentit à peine la contagion. En 1350 elle s'avanca vers le nord, et envahit les Frisons, les Allemands, les Hongrois, les Danois, et les Suédois. Ce fut alors, et par cette calamité, que la république d'Islande fut détruite. La mortalité fut si grande dans cette île glacée, que les habitants épars cessèrent de former un corps de nation.

Les symptômes ne furent pas partout les mêmes. En orient, un saignement de nez annonçait l'invasion de la maladie; en même temps il était le présage assuré de la mort. A Florence on voyait d'abord se manifester à l'aine ou sous les aisselles un gonflement, qu'on nomma gavocciolo; plus tard, il parut indifféremment à toutes les parties du corps. Plus tard encore les symptômes changèrent, et la contagion s'annonça le plus souvent par des tâches noires ou livides, qui, larges et rares chez les uns, petites et fréquentes chez les autres, se montraient d'abord sur les bras ou les cuisses, puis sur le reste du corps, et qui, comme le gavocciolo, étaient l'indice d'une mort prochaine, Le mal bravait toutes les ressources d'art: la plupart des malades mouraient le troisième jour, et presque toujours sans fièvre, ou sans aucun accident

nouveau.

Bientôt tous les lieux infectés furent frappés d'une terreur extrême, quand on vint à remarquer avec quelle inexprimable rapidité la contagion se propageait. Non seulement converser avec les malades ou s'approcher d'eux, mais toucher aux choses qu'ils avaient touchées, ou qui leur avaient appartenu, communiquait immédiatement la maladie. Des animaux tombèrent morts en touchant à des habits qu'ils avaient trouvés dans les rues. On ne rougit plus alors de laisser voir sa lâcheté et son égoisme. Les citoyens s'évitaient l'un l'autre ; les voisins négligeaient leurs voisins; et les parents mêmes, s'ils se visitaient quelquefois, s'arrêtaient à une distance qui trahissait leur effroi. Bientôt on vit le frère abandonner son frère, l'oncle son neveu, l'épouse son mari, et même quelques pères et mères s'éloigner de leurs enfants. Aussi, ne resta-t-il d'autres ressources à la multitude innombrable des malades, que le dévouement héroique d'un petit nombre d'amis ou l'avarice, des domestiques, qui, pour un immense salaire, se décidaient à braver le danger. Encore ces derniers, étaient-ils, pour la plupart, des campagnards grossiers

ét peu accoutumés à soigner les malades; tous leurs soins se bornaient d'ordinaire à exécuter quelques ordres des pestiférés, et à porter à leur famille la nouvelle de leur mort.

Cet isolement et la terreur qui avait saisi tous les esprits, firent tomber en désuétude la sévérité des mœurs antiques et les usages pieux par lesquels les vivants prouvent aux morts leur affection et leurs regrets. Non seulement les malades mouraient sans être entourés, suivant l'ancienne coutume de Florence, chacun de ses parents, de ses voisins, et des femmes qui lui appartenaient de plus près; plusieurs n'avaient pas même un assistant dans les deniers moments de leur existence. On croyait que la tristesse préparait à la maladie, que la joie et les plaisirs étaient le préservatif le plus assuré contre la peste; et les femmes mêmes cherchaient à s'étourdir sur le lugubre appareil des funérailles, par le rire, le jeu, et les plaisanteries. Bien peu de corps étaient portés au sépulcre par plus de dix ou douze voisins; encore les porteurs n'étaient-ils plus des citoyens considérés et de même rang que le défunt, mais des fossoyeurs de la dernière classe, qui se faisaient nommer becchini. Pour un gros salaire, ils transportaient la bière précipitamment, non point à l'église designée par le mort, mais à la plus prochaine, quelquefois précédés de quatre ou six prêtres avec un petit nombre de cierges, quelquefois aussi sans aucun appareil religieux, et jetaient le cadavre dans la première fosse qu'ils trouvaient ouverte.

Le sort de pauvres et même de gens d'un état médiocre était bien plus déplorable: retenus par l'indigence dans des maisons malsaines, et rapprochés les uns des autres, ils tombaient malades par milliers; et comme ils n'étaient ni soignés, ni servis, ils mouraient presque tous. Les uns, et de jour et de nuit, terminaient dans les rues leur misérable existence; les autres, abandonnés dans les maisons, apprenaient leur mort aux voisins par l'odeur fétide qu'exhalait leur cadavre. La peur de la corruption de l'air, bien plus que la charité, portait les voisins à visiter les appartements, à retirer des maisons les cadavres, et à les placer devant les portes. Chaque matin on en pouvait voir un grand nombre ainsi déposés dans les rues; ensuite on faisait venir une bière, ou, à défaut, une planche, sur laquelle on emportait le cadavre. Plus d'une bière contenait en même temps le mari et la femme, ou le père et le fils, ou deux ou trois frères. Lorsque deux prêtres avec une croix cheminaient à des funé

railles, et disaient l'office des morts, de chaque porte sortaient d'autres bières qui se joignaient au cortége, et les prêtres, qui ne s'étaient engagé que pour un seul mort, en avaient sept ou huit à ensevelir.

La terre consacrée ne suffisant plus aux sépultures, on creusa dans les cimetières des fosses immenses, dans lesquelles on rangeait les cadavres par lits, à mesure qu'ils arrivaient, et on les recouvrait ensuite d'un peu de terre. Cependant les survivants, persuadés que les divertissements, les jeux, les chants, la gaieté, pouvaient seuls les préserver de l'épidémie, ne songeaient plus qu'à chercher des jouissances, non seulement chez eux, mais dans les maisons étrangères, toutes les fois qu'ils croyaient y trouver quelque chose à leur gré. Tout était à leur discrétion ; car chacun, comme ne devant plus vivre, avait abandonné le soin de la personne et de ses biens. La plupart des maisons étaient devenues communes, et l'étranger qui y entrait, y prenait tous les droits du propriétaire. Plus de respect pour les lois divines et humaines; leurs ministres, et ceux qui devaient veiller à leur exécution, étaient ou morts, ou frappés, ou tellement dépourvus de gardes et de subalternes qu'ils ne pouvaient imprimer aucune crainte: aussi chacun se regardait-il comme libre d'agir à sa fantaisie.

Les campagnes n'étaient pas plus épargnées que les villes : les châteaux et les villages, dans leur petitesse, étaient une image de la capitale. Les malheureux laboureurs qui habitaient les maisons éparses dans la campagne, qui n'avaient à espérer ni conseils de médecins ni soins de domestiques, mouraient sur les chemins, dans leurs champs, ou dans leurs habitations, non comme des hommes, mais comme des bêtes. Aussi, devenus négligents de toutes les choses de ce monde, comme si le jour était venu où ils ne pouvaient plus échapper à la mort, ils ne s'occupaient plus à demander à la terre ses fruits ou le prix de leurs fatigues, mais se hâtaient de consommer ceux qu'ils avaient déjà recueillis. Le bétail, chassé des maisons, errait dans les champs déserts, au milieu des récoltes non moissonnées; et, le plus souvent, il rentrait de lui-même le soir dans ses étables, quoiqu'il ne restât plus de maîtres, ou de bergers pour le surveiller. Aucune peste, dans aucun temps, n'avait encore frappé tant de victimes. Sur cinq personnes il en mourut trois à Florence et dans tout son territoire. Boccace estime que

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