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MÉROPE.

VOLTAIRE avait plus de quarante ans lorsqu'il composa Mérope; il était dans toute la maturité de son talent. Quelques-uns regardent cette pièce comme son meilleur ouvrage; aussi n'est-il pas de son invention: il ne s'égare pas là dans les espaces imaginaires; il marche appuyé, escorté des anciens et des modernes. La réputation du sujet a tenté une foule d'auteurs; c'est sur une demi-douzaine de Mérope que Voltaire a fabriqué la sienne : celle de Maffei lui a plus servi que les autres, parce qu'il est plus permis de piller les étrangers, et parce qu'il a trouvé dans le poëte italien un génie brut et des inventions originales qu'il ne s'agissait que de polir. C'était bien ce qu'il lui fallait ; car Voltaire avait éminemment le goût et l'élégance. Il a fait mainbasse sur les inutilités, les naïvetés, les détails simples et rustiques; il a su revêtir du coloris le plus brillant les idées de Maffei; et le succès qu'il a obtenu est, avec celui de Zaïre, un des plus éclatans qui ait signalé sa carrière dramatique.

Il était juste que l'heureux imitateur de la Mérope italienne offrît à son modèle l'hommage de sa reconnaissance. Maffei, d'ailleurs, n'était pas un auteur de profession, un faquin obscur, qu'on pouvait dépouiller sans rien dire; c'était un homme d'importance, un marquis; c'était plus qu'il n'en fallait pour s'attirer, de la part de Voltaire, une épître charmante, où les louanges sont prodiguées avec tout l'art et toutes les grâces de la politesse française. L'auteur de cette flattense épître ne tarda pas à s'apercevoir qu'à Paris on le prenait au mot; que ses éloges y étaient regardés comme des jugemens littéraires; ses complimens de cour pas

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saient pour de la bonne monnaie. La haute opinion qu'on se formait de l'original pouvait nuire à la gloire de la copie. Voltaire sentit le danger, et se hâta d'y remédier en habile homme qui savait conduire autre chose que des intrigues de tragédies; il se fit écrire par un de ses compères nommé la Lindelle, une lettre qu'on n'a pas négligé d'insérer dans ses œuvres; le style en est assez déguisé pour qu'on n'y reconnaisse pas la plume de Voltaire. Dans cette lettre, on lé gronde très-sérieusement d'avoir flatté, outre mesure, Maffei et sa Mérope; on fait une satire amère de la pièce italienne; on en cite avec malice les endroits les plus choquans pour nos mœurs; on verse le ridicule à pleines mains sur des naïvetés que la langue et les mœurs du pays rendent trèsexcusables; et l'on conclut de tout cela que le poëte français n'a pas pu tirer un grand parti de cet amas d'absurdités; qu'il ne doit presque rien à Maffei ; et qu'il lui a fait, en le pillant, beaucoup d'honneur.

Pour rendre la farce complète, Voltaire répondit à ce la Lindelle, pour le gronder à son tour d'être si satirique : il affecte de prendre le parti de ce pauvre Maffei, tout en disant que le critique a raison sur bien des points; ct, par un effort bien généreux, il avoue que, dans toute la tragédie italienne, il y a deux endroits touchans et pathétiques. Laharpe lui-même, malgré son aveugle enthousiasme pour Voltaire, est forcé de convenir que ce procédé n'est pas très-loyal; ce qui n'empêche pas que dans le cours de son examen, ou plutôt de son panégyrique de Mérope (car ses examens des tragédies de Voltaire ne sont pas autre chose), il ne soit lui-même un petit la Lindelle très-acharné contre Maffei, auquel il accorde à peine le sens commun, tandis que la Mérope de Voltaire, ainsi que la plupart de ses autres pièces, lui paraît lé dernier effort de l'esprit humain.

On sait combien le style de l'admiration est peu mesuré, quand cette admiration n'est qu'un préjugé de l'enfance, une erreur de l'éducation plutôt que le sentiment du vrai beau: on peut en juger par cette phrase indiscrète et téméraire, dont Laharpe n'a probablement pas senti toute la portée : « Voltaire a été imitateur, dans Mérope » et Oreste, comme Racine dans Phèdre et Iphigénie, >> c'est-à-dire, en surpassant infiniment son modèle. » Il n'y a que le fanatisme qui puisse excuser cette incongruité d'expression. Voltaire a donc une supériorité infinie sur Sophocle, qu'il n'a fait que copier dans son OEdipe, et dont il a gâté la noble simplicité par un épisode ridicule, sans créer aucune beauté nouvelle, à l'exemple de Racine, qui souvent embellit et perfectionne Euripide. Pour comble d'inconvenance et de maladresse, il se trouve que cet Oreste, où l'on prétend que Voltaire a surpassé infiniment Sophocle, est fort inférieur à l'OEdipe, imité du même Sophocle; que c'est même une pièce où l'on commence à s'apercevoir du déclin de son talent, à la sécheresse et à la pâleur du style. Ainsi, au jugement de Laharpe, Voltaire, déjà sur le retour et au-dessous de lui-même, surpasse infiniment un des plus admirables chefs-d'œuvre du premier tragique de l'antiquité.

Je vais plus loin : c'est même une imprudence digne d'un littérateur superficiel, de prononcer lestement que Racine surpasse Euripide, quoique Boileau, dans une inscription qu'on peut regarder comme un éloge officiel, ait pris cette licence en faveur de l'amitié. Avant de pouvoir décider entre Euripide et Racine, il faudrait décider entre Athènes et Paris; il faudrait avoir comparé les mœurs des Grecs avec les mœurs des Français, et juger quelles sont les meilleures. Quel homme oserait trancher une pareille question? Quel est le philosophe

qui ne se défiera pas des préjugés de sa des préjugés de sa naissance, de son amour pour sa patrie, de sa prédilection pour son siècle, et qui ne craindra pas que le citoyen ne nuise au littérateur? Toutes ces comparaisons entre les grands hommes de différens pays et de différens siècles, toutes ces décisions hardies annoncent plus de présomption que de lumières, et sont plus nuisibles qu'utiles au progrès de l'art. Sophocle et Euripide sont les premiers poëtes dramatiques de la Grèce, comme Corneille et Racine sont les premiers tragiques de la France; et nonseulement il est faux, il est même absurde dans les termes, d'avancer que nos grands hommes du siècle de Louis XIV surpassent infiniment les grands hommes du siècle d'Alexandre.

Il me semble même qu'on ne donne pas assez au mérite de l'invention dans la poésie dramatique. Quoique Racine ait prouvé, dans plusieurs de ses ouvrages, à quel point il excellait dans l'art de construire un plan, on ne peut nier cependant qu'Euripide ne lui ait fourni les plus grands secours pour la fable d'Iphigénie. Le succès de l'imitateur ne doit pas faire oublier ce qu'il doit à son modèle, et même, en le perfectionnant, il ne le surpasse pas en mérite réel; c'est beaucoup qu'il l'égale, et que ce qu'il tire de son propre fonds puisse balancer ce qu'il emprunte.

Il s'en faut beaucoup que Voltaire même, en corrigeant Maffei, ait évité tous les défauts, puisqu'il est forcé de convenir que, dans plusieurs endroits, Maffei est plus raisonnable et plus régulier que lui; mais ces défauts de raison et de jugement étaient à ses yeux bien lég rs, quand il espérait en faire éclore un intérêt considérable : ce sont ses termes, et l'on sait qu'il a tout sacrifié à l'intérêt. Le grand point est d'émouvoir et de faire verser des larmes ; on a pleuré à Vérone et à Paris;

3.

voilà une grande réponse aux critiques. Lui-même, cependant, répète en vingt endroits qu'une mauvaise pièce peut faire pleurer par le mérite de quelques situations. Si les larmes sont les meilleurs juges de la bonté d'un poëme dramatique, Voltaire lui-même se trouvera fort au-dessous des auteurs des plus chétifs romans et des drames les plus médiocres.

La Mérope de Voltaire plut beaucoup aux jésuites, parce qu'il n'y avait point d'amour. L'auteur avait soumis son manuscrit au jugement du père Brumoy ; celui-ci le communiqua au père Tournemine. Elevé chez les jésuites, Voltaire semblait avoir conservé pour eux quelque sentiment d'estime et de reconnaissance. La conduite qu'il tint lors de leur expulsion, les sarcasmes dont d'Alembert et lui écrasèrent ces malheureux, feraient croire qu'il ne ménageait alors les jésuites que parce qu'ils étaient en faveur, et liés avec les personnes les plus distinguées de la cour. On a imprimé, dans le recueil des œuvres de Voltaire, une lettre du père Tournemine au père Brumoy, où la Mérope est encore plus exaltée, s'il est possible, que dans le Cours de Littérature de Laharpe : on y fait un grand mérite à Voltaire d'avoir imité la simplicité antique ; mais cette simplicité n'est louable que lorsque le vide de l'action ne se fait pas sentir; les déclamations, les scènes oiseuses, les personnages inutiles sont presque aussi blamables que les épisodes. Dans Mérope, il y a des longueurs, des remplissages; le rôle de Narbas est parfaitement inutile, depuis le coup de théâtre du troisième acte; les confidens sont multipliés; le cinquième acte languit jusqu'au récit d'Isménie; tout cela diminue beaucoup le mérite de la simplicité. L'Amasis de Lagrange-Chancel, qui n'est autre chose que le sujet de Mérope, traité sous des noms égyptiens; l'Amasis est plus compliqué, mais

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