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scène. Le Tartufe a donc été absolument inutile, quant à l'effet moral; l'irréligion a pu seule déraciner l'hypocrisie religieuse pour mettre à la place l'hypocrisie philosophique, l'hypocrisie de probité, de mœurs, de sensibilité. Hélas! toutes les vertus sont des hypocrisies; nous ne voyons autour de nous que des visages plâtrés et des gens en domino; la société n'est qu'un bal masqué : c'est le dernier degré de la civilisation. Heureusement, l'excès même du désordre en fournit le remède ; et quand tout le monde trompe, personne n'est trompé.

Il ne fallait donc pas faire ouvrir une si large bouche à Molière, pour lui faire prêcher l'utilité morale du théâtre et la haute importance du Tartufe. Du côté de l'art et de l'exécution, la pièce est assurément un chefd'œuvre; quant au but et à l'effet, c'est une vengeance que Molière se permit contre les dévots qui décriaient la comédie. Il combattit pour ses tréteaux qui étaient ses autels et ses foyers; il ridiculisa l'esprit de mortification et de pénitence, la modestie, la pudeur, l'humilité et le mépris des vanités du monde, en couvrant un misérable du masque de ces vertus; il fit un mélange comique du langage de la dévotion et de celui de la débauche; et, contre toute vraisemblance, composa des déclarations d'amour dans le style des oraisons. La Bruyère a très-bien observé qu'un tartufe en bonne fortune n'est pas assez sot pour employer des termes qui ne peuvent servir qu'à le rendre ridicule et le faire échouer dans ses projets. Tout cela était ingénieux, plaisant, très propre à divertir les habitués du théâtre; mais tout cela était plus nuisible qu'avantageux aux mœurs, et ne pouvait tourner qu'au détriment de la véritable piété qu'il est trop facile de confondre avec la fausse. Dans le cours de ses galanteries et de ses victoires, un jeune conquérant, enivré de gloire et de plaisirs,

protégea le poëte qui embellissait ses fêtes, contre les barbons et les jausénistes qui prétendaient qu'il ne fallait pas rire de tout. L'amant de la Vallière ne vit dans le Tartufe que d'innocentes plaisanteries : le mari de madame de Maintenon eût été plus scrupuleux.

Aujourd'hui on donne souvent le Tartufe, pour prévenir le retour du fanatisme religieux : c'est la précaution inutile. Ce qui doit rassurer les philosophes, c'est que le métier de faux dévot ne vaut plus rien. Si la dévotion conduisait encore aux honneurs et à la fortune, comme dans les dernières années de Louis XIV, chacun s'empresserait d'en avoir l'apparence. On aurait beau donner tous les jours le Tartufe, les faux dévots laisseraient les comédiens faire leur métier, cela ne les em pêcherait pas de faire le leur.

On suppose dans la pièce que Molière se procure le chapeau et le manteau de Pirlon pour jouer le Tartufe; cependant le roi, quand il permit la représentation, exigea que le faux dévot, qui s'appelait alors Panulphe, aurait l'habit d'un homme du monde, et défendit tout ce qui pourrait avoir le moindre rapport au costume ecclésiastique, et même à celui des gens d'une piété austère nous avons vu, depuis, le Tartufe habillé presque en abbé. L'idée de faire, dérober par sa servante le chapeau et le manteau de Pirlon, ne fait point d'honneur à Molière. Je ne sais pas pourquoi il s'applaudit tant de ce trait de génie, en se frottant les mains comme un écolier qui vient d'imaginer une espièglerie contre son pédagogue : c'est donner à Molière une animosité puérile indigne de lui. Sans doute le chapeau et le manteau de Pirlon n'avaient rien de particulier, et ressemblaient à tous ceux que les dévots avaient coutume de porter. La manière dont la servante s'empare du chapeau et du manteau, est une farce peu décente. Tout le

rôle de Pirlon n'est qu'une bien faible copie de celui du Tartufe, et l'entrée de ce personnage dans la maison et dans la société de Molière, est le comble de l'invraisemblance.

Comment supposer qu'un animal grossier et dégoûtant tel que ce Pirlon, un cagot enveloppé en été dans un lourd manteau de bure, la tête couverte d'un large feutre, sous lequel il tourne son œil louche et faux, soit admis chez Molière, fasse la cour à des comédiennes, telles que la Bejart et sa fille, obtienne leur confiance; que ces femmes élégantes et plus que mondaines appellent ce cafard mon cher monsieur Pirlon, écoutent et suivent ses conseils ? C'est une supposition tout à fait insoutenable: les comédiennes, dans aucun temps, n'ont été liées avec des bigots de cette espèce; elles s'en sont toujours moquées. Voilà pourquoi toutes les scènes de Pirlon ne sont que des bouffonneries et des caricatures. La jalousie de la Bejart, et l'intrigue de Molière avec sa fille Isabelle, sont d'un meilleur comique. La scène des marquis est bonne la vanité, l'injustice et la frivolité de Chapelle sont peintes avec vérité; mais on ne retrouve point la légèreté et l'enjouement de cet aimable libertin: c'est un censeur triste et de mauvaise humeur, lors même qu'il prêche la gaieté à Molière. ( 17 nivose an 12.)

DUCIS.

HAMLET.

SHAKESPEARE a-t-il connu Sophocle? A-t-il songé à l'Electre du poëte grec quand il a composé son Hamlet? Je crois que toute la littérature de ce patriarche de la tragédie anglaise consistait dans la bibliothèque bleue de son temps, et dans la traduction des Vies de Plutarque. Hamlet est une composition entièrement barbare, où l'on ne découvre aucune trace des idées et de la manière de Sophocle, quoique le sujet soit au fond le même que celui d'Electre.

Ce qui est bien remarquable, c'est que le Danois Hamlet a bien plus d'humanité et de naturel que le Grec Oreste. Hamlet, plein d'horreur pour le crime de sa mère, ne veut cependant pas l'assassiner, quoi qu'en dise l'ombre de son père; il veut que Gertrude se convertisse et qu'elle vive. Sa théologie sur cet article est consolante, et très-orthodoxe; elle enseigne qu'il n'y a point de crime que la bonté de Dieu ne pardonne au repentir. Mais cette doctrine d'un bon fils n'est que pour sa mère point de pardon pour Claudius, qui cependant est moins coupable que Gertrude. Hamlet prétend même que cet associé de sa mère soit damné sans miséricorde et il est à son égard plus impitoyable qu'un janséniste : Oreste, au contraire, ne traite pas Clytemnestre avec moins de rigueur qu'Egisthe; il obéit aveuglément aux ordres d'Apollon: il tue sa mère sans aucun remords,

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sans aucun retour vers la nature; et sa sœur Electre est encore plus insensible et plus féroce que lui. Dironsnous que le sentiment de la nature et de l'humanité se faisait mieux entendre dans un pays barbare, au sein des forêts du Nord, que sous le climat fortuné de la Grèce savante et polie? Le même poëte qui a peint dans OEdipe à Colonne le sublime de la piété filiale, dans Antigone l'héroïsme de l'amour fraternel, n'aurait-il pas pu donner de la sensibilité à son Oreste, si elle eût pu s'accorder avec le sujet ? Mais il avait à peindre des fanatiques; et le fanatique ne connaît ni la pitié, ni l'amitié, ni la nature; il égorge son père, sa mère, son fils même sans balancer, dès que la superstition commande. C'est cette affreuse fermeté du fanatique que Sophocle a voulu représenter comme vraiment tragique, et non pas les angoisses de l'homme faible, se débattant contre la volonté des dieux.

Nous autres descendans des barbares de la Germanie, nous avons le cœur plus tendre que les Grecs : ils sont des barbares pour nous, quoique, par respect humain, nous les reconnaissions pour nos modèles. Crébillon et Voltaire n'ont pas osé suivre Sophocle; ils ont affaibli, énervé, défiguré son Electre pour plaire à un peuple diamétralement opposé aux mœurs, au goût, aux idées du peuple grec. Nous souffrons qu'une mère tue ses enfans, qu'une femme tue son mari, qu'un amant poignarde sa maîtresse, qu'un jaloux présente à sa femme le cœur de son rival, qu'un frère égorge son neveu pour en faire boire le sang à son frère! Mais notre délicatesse ne peut supporter qu'Oreste, obéissant à la fatalité, tue sa mère pour venger son père. Cependant comme c'est là le fait, nous ne pouvons pas l'éluder ; il faut, ou ne pas faire de tragédies sur ce sujet, ou que Clytemnestre périsse par la main d'Oreste. Que faisons

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