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d'avoir un maître : sa muse républicaine n'enfanta plus que des drames originaux, tout à fait indépendans de la raison et du goût. Tel était ce Phaedor, qui n'est tombé que parce qu'il a paru trop tard; tel est cet Abufar, qui tomberait aujourd'hui, s'il paraissait pour la première fois. On voit, dans ces deux pièces, un auteur vagabond qui va d'un pôle à l'autre chercher des beautés tragiques, qui prend ses acteurs dans des solitudes inhabitées, et qui ne fait qu'un saut des sables brûlans de l'Arabie aux déserts glacés de la Sibérie.

Le théâtre de Melpomène n'est point fait pour des, mœurs sauvages et grossières : mettre les tentes des pasteurs à la place des palais des rois, c'est substituer l'idylle à la tragédie. On ne parle, dans Abufar, que de chameaux, de chevaux, de troupeaux; tout est plein de paysages, de descriptions champêtres. Ducis croit n'imiter personne, parce qu'il n'imite aucun des poëtes tragiques anciens et modernes; mais, sans le savoir, il imite et défigure Gessner : il s'imagine être neuf, parce qu'il est étrange, parce qu'il confond les genres, et mêle indiscrètement à l'action dramatique les récits de l'épopée.

Jamais auteur n'a poussé si loin la manie sentencieuse, le jargon sentimental, l'emphase phisolophique; tous ses hémistiches sont chargés des noms de mœurs, de vertus, d'humanité; c'est une homélie continuelle : mais il est triste qu'un si fervent apôtre mette la vertu en paroles et le vice en action, et que les héros d'une pièce si sainte ne respirent que l'inceste. Il était alors très-mal adroit d'aller chercher le crime dans les cabanes; il eût été plus patriotique de nous le montrer sur le trône. Le poëte qui souvent invective contre le luxe et la magnificence du roi de Perse, aurait dû choisir la cour de ce despote pour y allumer le flambeau d'un amour criminel : ce n'est

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pas sous des tentes, dans la simplicité des mœurs rustiques que les passinos honteuses fermentent; c'est dans le palais de David qu'Ammon brûla pour sa sœur

Thamar.

gens

N'est-il pas étrange qu'on nous présente d'un côté des Arabes incestueux, tandis qu'on les exalte de l'autre comme les plus honnêtes du monde? J'ose assurer que les Arabes n'ont mérité, de la part de Ducis, ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. Chez eux, les femmes et les filles sont vertueuses, grâce à leur ignorance, à leur solitude, au défaut d'occasions; mais les hommes sont des brigands: hospitaliers sous leur tente, par tradition et par habitude; voleurs sur les grands chemins, par instinct et par caractère. On dit pour les excuser, qu'ils se prétendent les rois du désert, et croient avoir droit de mettre à contribution les voyageurs qui passent sur leurs terres; mais une fausse prétention ne justifie pas la violation des droits les plus sacrés. Des scélérats, habitans d'une forêt, n'auraient donc qu'à prétendre qu'ils sont les maîtres de cette forêt, et du grand chemin qui la borde, pour se croire en sûreté de conscience. J'en suis fâché pour M. Ducis, qui passe pour un poëte fort honnête, à qui même on attribue, malgré sa philosophie, des sentimens très religieux; mais sa pièce semble avoir pour objet de faire aimer des bandits, d'intéresser en faveur de l'inceste. Lorsque j'entends Abufar faire si dévotement sa prière au soleil, débiter de si belles maximes d'humanité, moi qui sais un peu d'histoire et de géographie, je ne puis m'empêcher de dire tous bas : « Ce saint homme, en dépit de ses beaux sermons, a » dévalisé bien des marchands, détroussé bien des cara» vanes; il affecte un grand mépris pour l'or; il parle » avec le désintéressement d'un capucin; demain il met » tra le pistolet sur la gorge de son frère, pour lui ravie

« sa bourse. Mais Ducis abuse le grand nombre des spectateurs qui croient pieusement, sur sa parole, que les Arabes sont les plus humains, les plus compatissans des mortels ce qui doit cependant rendre leur bonté très-équivoque, c'est que dans l'usage de la conversation, arabe est synonyme de dur et impitoyable : preuve évidente que les Arabes, avant que Ducis leur eût donné un brevet de vertu, ne jouissaient pas d'une excellente réputation dans le monde.

C'est le dernier effort du génie tragique, d'exposer sur le théâtre une passion qui fait frémir la nature; d'inspirer à la fois de la pitié pour le coupable et de l'horreur pour son crime : le seul Racine était capable d'un tel prodige. Le caractère de Phèdre est un chef-d'œuvre de l'art qui avait trouvé grâce aux yeux même du sévère Arnaud : ce janséniste ennemi des spectacles ne pouvait s'empêcher d'admirer avec quel talent Racine avait su rendre, jusque dans la peinture du vice, un si bel hommage à la vertu. Campistron osa depuis, dans son Tiridate, nous montrer un frère amoureux de sa sœur ; l'ouvrage est faible, mais il ne viole aucune des bienséances de la scène. Ducis semble ne s'être pas même douté des difficultés du sujet : au lieu d'un incestueux, il nous en présente deux à la fois : le frère et la sœur brûlent l'un pour l'autre d'un feu mutuel; ils se font des déclarations et des caresses. L'auteur a regardé sans doute la décence théâtrale comme un préjugé dont la révolution avait débarrassé la scène. Il est vrai que la sœur, après avoir fait à son frère l'aveu le plus brûlant et le plus passionné, pousse un grand cri et se jette par terre; c'est le seul hommage que l'auteur ait bien voulu rendre à la vertu, et cet hommage est lui-même une indécence, car nous n'aimons point à voir les personnages tragiques se rouler sur le théâtré. Il est étrange qu'un poëte, qui

toute sa vie a fait des tragédies, ne sache pas qu'un amour criminel ne doit jamais être un amour partagé.

La pièce est d'ailleurs fort mal conduite; le caractère de Pharan tient plus de la folie que de la passion. Il a quitté son pays pour s'éloigner de sa sœur; son retour n'est point motivé, sa jalousie est fondée sur une méprise très-invraisemblable, et qui dure trop long-temps: avant même d'être désabusé, il choisit pour son ami, pour son mentor, ce même rival qu'il a toujours haï. Le dénouement est si brusque, qu'ils'élève toujours un murmure général dans l'assemblée, lorsqu'on apprend tout à coup que Salema n'est point la sœur de Pharan. Gette catastrophe n'excuse point l'indécence du sujet, parce que le crime est dans l'intention. Au reste, ce drame, qui est très-lugubre et très-sombre, finit gaiement par deux mariages : c'est moins une tragédie qu'une élégie pastorale. Le débit de Melle. Vanhove, et le prestige de son organe, servent à couvrir beaucoup de niaiseries qui ne seraient pas supportables dans la bouche de toute autre actrice: son jeu et sa voix rendent aux vers de Ducis le même service qu'une belle musique aux mauvaises paroles d'une ariette. Talma a peint avec beaucoup de force l'égarement de la passion; il a mis un accent bien énergique dans ces mots : Tu ne me trompes pas? Melle. Volnay, dans le petit rôle d'Odéide, a montré de la douceur et de la sensibilité ; c'est tout ce qu'il exige. En général, les applaudissemens que la pièce a reçus n'ont été donnés qu'aux acteurs. Le style de la pièce est plus extravagant encore, s'il est possible, que les idées et les situations; c'est un luxe, ou plutôt un fatras de métaphores orientales aussi fatigant que risible. (14 frimaire an 10.)

MURVILLE.

ABDÉLAZIS ET ZULÉMA.

CETTE TE pièce est dédiée, non pas à un grand de la terre, à un heureux du siècle; la philosophie ne permettait pas à l'auteur une pareille dédicace : elle est dédiée à M. Ducis. C'est ainsi que Jean-Jacques Rousseau dédia son Devin du Village à M. Duclos. M. Murville devait cette reconnaissance à M. Ducis, puisque c'est à une visite de M. Ducis qu'il doit sa pièce.

Un jour qu'il était seul, accablé de chagrin, et rêvant au plan d'Abdélazis, il voit entrer chez lui M. Ducis aussitôt les corpuscules émanés du Shakespeare français entrent dans le cerveau fumant de M. Murville par tous les pores, qui étaient alors trèsouverts ils y déposent des germes féconds; et voilà M. Murville qui conçoit un plan, et enfante un ouvrage meilleur qu'à lui n'appartenait; comme il le dit naïvement lui-même dans son épître dédicatoire, où j'ai puisé tous ces détails sur la naissance d'Abdélazis.

En effet, l'auteur de quelques discours en vers, de quelques épîtres honorées d'un accessit, ou d'une mention à l'Académie, pouvait-il se flatter de chausser avec succès le cothurne, et d'obtenir les faveurs de Melpomène, s'il n'eût reçu dans cette visite mystérieuse l'esprit tragique, et la noire mélancolie de l'auteur d'Hamlet, de Macbeth et du Roi Léar? Faut-il être surpris de

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