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ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

ADELAIDE DU GUESCLIN, jouée pour la première fois en 1734, deux ans après Zaïre, fut sifflée et bafouée d'un bout à l'autre, au rapport de Voltaire lui-même, historien fidèle. En 1765, les comédiens s'avisèrent de la redonner; elle fut alors accueillie avec enthousiasme, et alla, comme on dit, jusqu'aux nues. Voltaire se moque, à son ordinaire, de cette inconstance du public; il s'égaie dans des anecdotes plaisantes. Quand un auteur a réussi, il est disposé à rire. Mais cherchons aujourd'hui sérieusement les causes de la disgrâce et du triomphe d'Adélaïde : d'abord, en 1734, on n'avait pas, comme en 1765, un le Kain pour jouer Vendôme. En 1734, Voltaire n'était encore que l'auteur d'OEdipe de Brutus et de Zaïre; mais en 1765, il était le souverain pontife de la littérature, et le premier ministre de la raison. En 1734, le public, nourri des chefs-d'œuvre des fondateurs de notre scène, exigeait encore que l'exacte vraisemblance y fût gardée; il n'était point accoutumé aux intrigues romanesques, aux caractères forcés, aux situations outrées; il démêlait aisément les absurdités à travers la guipure tragique; mais en 1765, le public, dont le goût s'était formé par tant de rapsodies dramatiques, était mûr pour les beautés d'Adélaïde Du Guesclin. Ainsi, le parterre de 1734 dut trouver fort étrange cette Adélaïde, tombée comme des nues dans les murs de Lille; ce Nemours qui se trouve, à point nommé, général de l'armée des assiégeans, sans que Vendôme en sache rien; ce Nemours, que son frère renverse et fait prisonnier sans le connaître, qu'il se fait amener par curiosité, et qu'il ne regarde seulement pas lorsqu'il paraît. On dut être alors étonné que ce Vendôme, si défiant, s'imagine, sans aucun fondement,

que son frère n'a pu voir ni connaître Adélaïde, tandis qu'il soupçonne plus légèrement encore le vieux Coucy. Il paraît singulier que ce Caton, blanchi dans le métier des armes, crut faire beaucoup que de céder à son chef ses prétentions sur une fille de dix-huit ans, et fit valoir ce sacrifice. Le rôle d'Adélaïde déplut généralement; on trouva mauvais que cette fille ne s'expliquât pas plus clairement avec Vendôme; la reconnaissance seule devrait l'empêcher de nourrir sa passion par des détours, et surtout de lui persuader qu'elle ne refuse sa main que parce qu'il est rebelle au roi. Vendôme a raison de lui reprocher de l'artifice; mais le poëte avait bien aussi ses raisons pour ne pas lui donner plus de franchise. Mais ce qui révolta tous les esprits, c'est la bassesse et la làcheté de Vendôme, absolument contraires aux mœurs et à l'esprit du temps où l'on suppose qu'il a vécu. Un général, fameux par ses exploits, peut-il ignorer les règles de l'honneur? Quel que soit l'excès de son amour et de sa jalousie, peut-il lui venir dans l'esprit de se défaire de son rival par un lâche assassinat, plutôt que de vider sa querelle les armes à la main? J'en atteste tous nos braves guerriers; en est-il un seul qui, dans l'ivresse de la passion la plus violente, pouvant se venger avec son épée, puisse imaginer d'avoir recours à une trahison infâme, et qui ne rejette pas avec horreur la pensée de faire lâchement égorger un prisonnier sans défense? Que serait-ce si ce prisonnier était son frère? Qu'un duc de Bretagne ait voulu autrefois faire assassiner le connétable de Clisson, c'était un souverain comme on en a vu beaucoup dans le monde; mais un pareil personnage est un monstre sur la scène. Du moment où Vendôme a découvert que son frère est son rival, il doit lui offrir le combat, et cependant l'idée seule de l'assassiner se présente à son esprit ; il la médite,

il la savoure à loisir; il est sourd aux conseils de l'amitié; et ce qu'il y a d'incroyable lors même qu'il commence à sentir des remords, la honte et l'infamie d'une pareille action ne s'offrent point à son imagination, il n'en considère que la cruauté.

Les remords, dit-on, effacent tout au théâtre. Cela n'est pas vrai. Il n'y a point de remords qui effacent la lâcheté et la bassesse ; et c'est une des premières règles du theâtre, de ne jamais faire commettre aux personnages qu'on veut rendre intéressans, quelqu'un de ces crimes dont la seule idée flétrit et déshonore. Si un militaire était convaincu d'avoir aposté un assassin pour tuer son rival, aucun remords ne pourrait empêcher qu'il ne fût chassé de son régiment, et regardé comme un infâme le reste de sa vie. Je ne suis pas surpris des éclats de rire dont le parterre accueillit alors Es-tu content, Coucy? Il semble en effet que Vendôme ne fait pas une grande prouesse, lorsqu'il veut bien se résoudre enfin à ne pas arracher à son frère sa femme; il n'y a pas là de quoi tant s'applaudir, dans un moment surtout où il devrait être bien humilié, et la question est véritablement ridicule. (13 vendémiaire an 9.)

-Enivré du succès de Zaïre, Voltaire avait besoin de la disgrâce d'Adélaïde pour reconvrer la raison, et se persuader qu'il n'était qu'un homme: il s'imaginait alors qu'il ne fallait, pour réussir au théâtre, que des folies amoureuses: il fut cruellement désabusé par les sifflets. Ce n'est point ici un conte, une anecdote satirique ; c'est un fait incontestable: Voltaire était de la fête; il en fut le témoin fidèle; il assista, comme il le dit agréablement lui-même, à l'enterrement d'Adélaïde ; il en a raconté les principales cérémonies avec une gaieté très-philosophique, quoiqu'un peu forcée. Voltaire était homme d'esprit ; il était même calculateur autant que

poëte; il savait très-bien quelle proportion il y a entre un sifflet et cinq cents sifflets.

Quand un gouvernement marche vers la décadence, il fait bien des progrès en trente ans : le public qui avait sifflé l'Adélaïde Du Guesclin en 1734, n'était plus le même que celui qui l'accueillit avec transport en 1765: c'était une génération nouvelle, qui ne ressemblait en rien à la génération précédente. Voltaire, qui avait alors soixante-onze ans, se sentit rajeunir en apprenant la résurrection miraculeuse de son Adélaïde; il se mit à faire des contes pour rire aux dépens des honnêtes gens qui trente ans auparavant avaient sifflé sa tragédie; il les compara aux sérénissimes sénateurs de Venise, qui jugeaient dans la même cause, tantôt d'une façon et tantôt d'une autre, et toujours à merveille : il joignit à cette facétie l'aventure du musicien Mouret, qui avait fait une très-belle marche pour un régiment suédois. Ceux qui étaient chargés de l'examiner et de la payer, la trouvèrent fort mauvaise, et, quelque temps après, entendant cette même marche dans un opéra où Mouret l'avait placée, ils en furent transportés, et Mouret leur dit :

c'est la même.

Ces deux petites anecdotes sont assez jolies, mais ne font rien à l'affaire : les sénateurs vénitiens et les examinateurs de la marche de Mouret étaient les mêmes personnes qui, sur la même chose, portaient un jugement différent : mais ceux qui ont applaudi Adélaïde étaient les petits-enfans de ceux qui l'avaient sifflée, et n'avaient pas autant de bon sens que leurs grands-pères. Ce qui le prouve, c'est que leurs papas avaient sifflé ce qui méritait de l'être : la rage et l'infamie de Vendôme, le coup de canon, charlatanisme théâtral, qui depuis a fait la fortune d'un drame de Sedaine; la mauvaise gasconnade: Es-tu content, Coucy? comme si c'était en

effet une grande prouesse de ne pas tuer son frère, et de ne pas lui ravir sa femme; il n'y a pas de quoi s'applaudir beaucoup.

Trente ans après, l'esprit philosophique ayant affaibli le sentiment et le goût, ces grossières inconvenances parurent des beautés du premier ordre : ce qu'on avait sifflé fut précisément ce qu'on applaudit le plus. Puisque des tragédies de Voltaire, qu'on avait d'abord trouvé mauvaises, ont réussi trente ans après, il pourrait arriver, par la même raison, que les productions de cet auteur, qui ont excité jadis le plus d'enthousiasme, fussent aujourd'hui regardées avec beaucoup de froideur et d'indifférence; il n'y a que les véritables chefsd'œuvre fondés sur la raison et la nature, qui franchissent les siècles et restent supérieurs aux révolutions : les pièces de circonstance, les ouvrages de parti s'évanouissent avec les passions et les préjugés qui leur ont donné la vogue. Voltaire avait plus de motifs que personne pour ne pas trop appuyer sur l'incertitude des jugemens du public; un écrivain aussi heureux que lui, comblé de tant d'honneurs, a plus à perdre qu'à gagner à cette doctrine.

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« Vous savez, dit très-bien Voltaire, ce que j'entends >> par le public; ce n'est pas l'univers, l'univers, comme nous » autres barbouilleurs de papier l'avons dit quelquefois. » Le public, en fait de livres, est composé de qua>> rante ou cinquante personnes, si le livre est sérieux; » de quatre ou cinq cents, lorsqu'il est plaisant; et » d'environ onze ou douze cents, s'il s'agit d'une pièce » de théâtre. » Voltaire est ici vraiment philosophe; il apprécie les choses ce qu'elles valent; il les nomme par leur nom propre : il aurait pu ajouter que sur les onze ou douze cents personnes qui composent le public du théâtre, il n'y en a pas cent dont l'esprit et le goût

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