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poëte fut curieux de voir comment le Kain jouait son rôle, et l'invita à le réciter devant toute la compagnie. Le Kain, empressé à lui plaire, commence à débiter, d'un ton d'énergumène, les vers de Gengiskan, s'efforçant de mettre dans sa déclamation toute l'énergie tartarienne, comme il le dit lui-même ; mais à peine Voltaire eut-il entendu quelques tirades, que l'indignation et la colère se peignirent dans ses traits; plus l'acteur se démenait, plus l'auteur paraissait furieux; enfin, n'y pouvant plus tenir : Arrêtez! s'écria Voltaire; arrétez. . . . . le malheureux! il me tue, il m'assassine! On fit de vains efforts pour le calmer; c'était dans ce moment un vrai tigre; il sortit plein de rage, et courut s'enfermer dans son appartement.

Qu'on juge de l'étonnement et de la consternation du pauvre le Kain, accoutumé aux acclamations de la capitale; il ne songea plus qu'à partir, et cependant poussa la politesse jusqu'à faire demander à Voltaire un moment d'entretien. Qu'il vienne s'il veut, répondit l'implacable vieillard. Le Kain se présente en tremblant, témoigne ses regrets, et paraît désirer recevoir des conseils: ces derniers mots apaisent Voltaire, qui ne deman. dait pas mieux que d'en donner; il prend son manuscrit, et récite le rôle de Gengiskan à le Kain, pour lui donner une idée de la manière dont il devait être joué. Le comédien transporté d'admiration, à ce qu'il dit, profita de cette leçon sublime, et, de retour à Paris, il la mit en pratique la première fois qu'il joua Gengiskan. Un de ses camarades qui remarqua ce changement dans son jeu, dit malignement: On voit bien qu'il revient de Ferney.

C'est le Kain lui-même qui rend compte de cette anecdote dans une lettre à l'un de ses amis; le fonds en est par conséquent de la plus exacte vérité. Quant à l'i

dolâtrie voltairienne et aux louanges données à Voltaire, comme comédien, on peut s'en méfier: tout le monde sait qu'il était bien meilleur comédien dans la société que sur le théâtre. Il est probable que le Kain outra d'abord le rôle de Gengiskan, et que depuis il y mit plus de vérité et de profondeur. Il résulte de tout ce récit, que le personnage est extrêmement difficile, parce qu'il est équivoque et faux, et parce que l'auteur luimême savait mieux ce qu'il avait voulu faire que ce qu'il avait fait. ( 4 frimaire an 13.)

МАНОМЁТ.

VOLTAIRE demandait un jour à Fontenelle comment il trouvait son Mahomet. Je le trouve horriblement beau! répondit le vieux philosophe. Voltaire, en effet, dans cette pièce, a passé le but. Je ne sais, dit-il lui-même, dans sa lettre au roi de Prusse, du 20 janvier 1742, si l'horreur a été plus loin sur aucun théâtre.... Votre majesté est bien persuadée qu'il ne faut pas qu'une tragédie consiste uniquement dans une déclaration d'amour, une jalousie, un mariage. Est-ce qu'il n'y a point de milieu entre la fadeur et l'atrocité? S'il n'y en avait point, il vaudrait beaucoup mieux être doucereux et faible, qu'horrible et atroce. Du côté moral, le défaut du pathétique est moins dangereux que l'excès, parce qu'il n'émousse pas la sensibilité du peuple; il ne dessèche pas les âmes; et même en littérature, des tragédies d'un effet médiocre laissent plus de ressource à l'art que des spectacles affreux dont l'humanité s'indigne. L'esprit, dont la nature est toujours de se porter en avant, peut donner à la scène la vigueur et l'énergie qui lui manquent; mais après des poëmes monstrueux qui font frémir la nature, que reste-t-il, sinon de s'enfoncer toujours plus avant dans les atro

cités? L'âme, blasée par ces violentes secousses, est à peine sensible à des émotions plus faibles, et s'endort au vrai tragique.

Voltaire n'a pas trouvé dans son génie assez de ressources pour émouvoir et toucher les spectateurs par les moyens que Corneille et Racine avaient employés; il a cru devoir appeler l'horreur et les effets au secours de son impuissance : c'est ainsi qu'il a dénaturé la tragédie française, et qu'il a cherché à établir sa réputation sur les ruines de son art; ce qui est très-peu philosophique. Jadis Molière osa risquer son chef-d'œuvre du Misantrope sur une scène accoutumée aux bouffonneries, aux farces, aux quiproquo des intrigues espagnoles; Racine ne craignait pas d'exposer son admirable tragédie de Britannicus sur un théâtre où les absurdités et les aventures romanesques étaient en possession de plaire : ces écrivains, assez grands pour envisager la postérité sacrifiaient à la perfection de l'art la gloire du moment. Voltaire ne s'est pas cru assez fort pour corriger son siècle; il a jugé qu'il était plus facile et plus sûr de le flatter.

Mahomet n'est autre chose que Tartufe les armes à la main. Voltaire n'a pas eu le goût assez fin ou le génie assez vigoureux pour écarter du tableau de ce Tartufe conquérant tous les traits qui pouvaient l'avilir; il a rapetissé ce grand scélérat; il l'a rendu plus dégoûtant, plus odieux que terrible. Son but a été, sans doute, de peindre dans Séide, Jacques Clément, et dans Mahomet, le père Bourgoing: mais ce qui convient à un moine, à un prieur de jacobins, ne convient point au fondateur d'un grand empire et d'une religion qui règne encore aujourd'hui dans la moitié du monde. La scène où Mahomet prend lui-même la peine de séduire un enfant, n'est qu'une scène de fourberie honteuse qui dégrade ce

célèbre imposteur. Il faut donner aux crimes tragiques un air de grandeur dès qu'on en montre toute la bassesse et toute la turpitude; ils sont indignes de la scène. Le fanatisme de bonne foi, qui n'est qu'une erreur et une passion, est bien plus théâtral que la scélératesse hypocrite: un supérieur de couvent, vraiment fanatique, excitant au meurtre un jeune moine, par des passages de la Bible, est moins odieux et plus tragique qu'un fourbe tel que Mahomet, qui emploie, pour tromper un malheureux jeune homme, la religion et l'amour, qui lui promet le ciel et une fille :

Le prix était tout prêt; Palmire était à vous.

Mahomet n'a jamais commis de crimes de cette espèce. Ses impostures, souvent ridicules en elles-mêmes, ont toujours été agrandies par leur objet. Voltaire a calomnié le prophète; il ne peut le dissimuler; mais son excuse est plaisante. Mahomet, dit-il, était capable de tout. Cela peut être; mais la scène tragique n'est pas capable de tout; c'est-à-dire qu'elle n'admet pas la bassesse dans un héros de tragédie. Je n'ai pas prétendu, dit-il, mettre une action vraie sur la scène, mais des mœurs vraies. Le poëte peut-il ignorer qu'il y a des mœurs vraies qu'il ne faut pas mettre sur la scène? J'ai voulu, ajoute-t-il, faire penser les hommes comme ils pensent dans les circonstances où ils se trouvent. Qui jamais eut moins cette intention que Voltaire, dont le dialogue est si peu naturel, et qui parle par la bouche de tous ses personnages? Ce qui manque essentiellement à tous ses ouvrages, c'est la vérité. (27 vendémiaire an 10.)

-La tragédie de Mahomet fut jouée pour la première fois à Lille, en 1741; et sur le bruit que fit la pièce, on dit, mais sans aucun fondement, que plusieurs prélats furent curieux de la voir; on leur en donna une repré

sentation sur un théâtre particulier, et ils sortirent trèsédifiés de ce spectacle. On ajoute que la même tragédie fut soumise au jugement du cardinal de Fleury, ministre supérieur aux Richelieu et aux Mazarin, si le bonheur des peuples est le chef-d'œuvre des ministres. Fleury fut enchanté de la morale, et trouva même quelque chose à reprendre à la poésie. Quoi qu'il en soit de ces anecdotes très-hasardées, qui n'ont d'autre garantie que l'antorité des sectateurs de Voltaire, il est certain que la pièce fut jouée à Paris le 9 août 1742; qu'elle fut retirée après la troisième représentation, et qu'elle reparut avec beaucoup d'éclat et de succès en 1751. Dans l'espace de neuf ans, l'esprit philosophique avait fait de grands progrès. Quoique la tragédie de Mahomet fût composée avec beaucoup de réserve et de sagesse, de grands politiques, qui attachent plus de prix à la tranquillité de l'état qu'aux vers d'un poëte, auraient pu juger dans le temps qu'elle a paru, qu'un pareil spectacle était sans aucune utilité pour la nation, et n'était pas sans danger. Aujourd'hui, la pièce n'a rien de nuisible: elle n'est plus qu'ennuyeuse.

L'éditeur de la tragédie de Mahomet prétend qu'un homme de beaucoup d'esprit a dit que si Mahomet avait été écrit du temps de Henri III et de Henri IV, cet ouvrage leur aurait sauvé la vie. Cet homme de beaucoup d'esprit n'en avait guère quand il a dit cela: sans avoir beaucoup d'esprit, on peut soupçonner que frère Clément le jacobin, le père Bourgoing son supérieur, et le frénétique Ravaillac n'allaient pas beaucoup à la comédie, amusement contraire à l'esprit religieux. Il ne faut aussi qu'un peu de sens commun pour savoir qu'on n'écrit jamais contre le fanatisme, quand le fanatisme règne : que la peinture des abus de la religion ne divertit que ceux qui ont peu ou point de religion; par conséquent

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